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— Peut-être après tout est-elle allée chez son père, dit la comtesse, et s’est-elle croisée avec le domestique. Je vais me rendre à Norwood sur-le-champ.

— Allez, allez, mais si elle n’y était pas, prenez garde d’effrayer Riccabocca ; ne lui dites rien de sa disparition, et recommandez à Giacomo de la lui taire également. Il soupçonnerait Peschiera, et se porterait peut-être à quelque acte de violence.

— Vous ne soupçonnez donc pas Peschiera, monsieur Leslie ? demanda soudain Harley.

— Ah ! ce serait possible, mais cependant non. Je suis allé chez lui ce matin avec Frank Hazeldean, qui doit épouser sa sœur, et je ne l’ai quitté que pour me rendre à Knightsbridge, à l’heure même où a disparu Violante. Il n’a du moins pu prendre une part personnelle à l’événement.

— Vous avez vu Violante, hier ; lui avez-vous parlé de Mme di Negra ? » demanda Harley, se rappelant soudain les questions que lui avait adressées la jeune fille au sujet de la marquise.

En dépit de lui-même Randal sentit qu’il changeait de couleur.

« De Mme di Negra ? Je ne crois pas… cependant c’est possible. Oh ! oui, je me le rappelle maintenant. Elle m’a demandé l’adresse de la marquise, et j’ai refusé de la lui donner.

— Il est facile de se procurer une adresse. Serait-elle allée à Curzon-Street ?

— J’y cours, dit Randal en se levant.

— Je vais avec vous. Et vous, ma mère, allez, comme vous en aviez l’intention, à Norwood, et suivez l’avis de M. Leslie. Épargnez à notre ami la nouvelle de la disparition de sa fille, jusqu’à ce que Violante lui soit rendue. Il ne pourrait nous être utile. Que Giacomo reste ici ; j’aurai peut-être besoin de lui. »

Harley passa alors dans la chambre voisine et pria le prince et Léonard d’attendre son retour, et de permettre que Giacomo restât avec eux.

Il retourna à la hâte près de Randal. Quelles que fussent ses craintes et ses émotions, Harley comprenait qu’il avait besoin de tout son sang-froid et de toute sa présence d’esprit. Cette occasion mettait brusquement en réquisition des facultés qui dormaient en lui depuis son adolescence, mais qui s’éveillaient maintenant avec une vigueur propre à faire trembler Randal lui-même, s’il eût pu deviner l’intelligence, le courage, l’énergie, pour ainsi dire, électriques, que cachait le calme apparent d’Harley.

Lord L’Estrange et Randal atteignirent bientôt la maison de la marquise, et y apprirent qu’elle était sortie depuis le matin dans une des voitures du comte de Peschiera. Randal jeta un coup d’œil inquiet sur le visage d’Harley. Celui-ci ne parut pas s’en apercevoir.

« Et maintenant, monsieur Leslie, que conseillez-vous ? dit-il.

— Je n’en sais vraiment rien. Peut-être, redoutant son père, connaissant ses principes despotiques et sachant combien il est rigoureux observateur de la parole donnée, s’est-elle réfugiée à la campagne,