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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/26

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reproches à me faire. Depuis lors j’ai été errant, vagabond, exilé volontaire.

« Mon adolescence avait été ambitieuse, toute ambition fut détruite en moi. Les flammes lorsqu’elles atteignent le cœur s’étendent et ne laissent que des cendres. Mais je serai bref ; je ne voulais pas me plaindre ainsi, moi à qui le ciel a réservé tant de bienfaits.

« Je me sentais pour ainsi dire séparé de tout ce qui fait la joie des autres hommes. Je m’effrayai en me voyant devenir de plus en plus la proie d’humeurs fantasques et capricieuses. Je résolus de m’attacher à quelque cœur vivant, c’était la seule chance que j’eusse de ranimer le mien. Mais celle que j’avais aimée demeurait mon seul type de la femme et elle différait de toutes celles que je voyais. Je me dis donc à moi-même : « J’élèverai quelque enfant en sorte qu’elle réalise mon idéal. » À l’époque où j’étais vivement préoccupé de cette pensée, le hasard me fit vous rencontrer. Frappé des malheurs de votre enfance, touché de votre courage, ravi de votre nature aimante, je me dis : « Voici ce que je cherchais. » Hélène, en me chargeant de diriger votre vie, en cultivant votre esprit et votre cœur, vous le voyez, je n’ai donc été qu’un égoïste. Et maintenant que vous êtes arrivée à l’âge où il convient que je vous parle ouvertement, maintenant que vous êtes sous le toit sacré de ma mère, maintenant je vous demande : pouvez-vous accepter ce cœur tel que l’ont fait des années perdues et un chagrin trop longtemps nourri ? Voulez-vous être du moins ma consolatrice ? Voulez-vous m’aider à regarder la vie comme un devoir et à retrouver ces inspirations qui autrefois m’élevaient au-dessus des misérables et frivoles intérêts du jour ?

« Hélène, je vous le demande, voulez-vous être tout cela sous le nom de ma femme ? »

Nous essayerions vainement de décrire les émotions rapides, multiples, indéfinissables qui traversèrent le cœur ingénu d’Hélène tandis qu’elle écoutait Harley.

L’étonnement, la compassion, un tendre respect, la sympathie, une gratitude presque filiale, se disputaient tellement son âme que lorsqu’il s’arrêta et lui prit doucement la main, elle demeura étourdie, muette, accablée. Harley sourit en regardant son visage expressif et couvert de rougeur. Il comprit sur-le-champ que l’idée d’une telle proposition ne lui était jamais venue, qu’elle ne l’avait jamais envisagé sous le caractère d’un amant, qu’elle n’avait même jamais sondé son propre cœur sur la nature des sentiments qu’il lui inspirait.

« Hélène, reprit-il d’un ton de douce tendresse, il y a quelque disparité d’âge entre nous et peut-être n’ai-je plus le droit d’aspirer à l’amour que la jeunesse n’accorde qu’à la jeunesse. Permettez-moi seulement de vous faire une question à laquelle vous répondrez franchement : Avez-vous vu dans notre vie tranquille du continent ou chez vos amis italiens, avez-vous vu quelqu’un que vous me préfériez ?

— Non, en vérité, non ! murmura Hélène. Cela serait-il possible ? Qui vous est supérieur ? » Puis avec un soudain effort, car sa sincé-