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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/257

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et dit avec quelque chose de plus que sa douceur et sa cordialité accoutumées : « Affaire ou non, causons en amis — pour l’amour d’un nom qui me rappelle Lansmere et ma jeunesse. Je vous écoute avec intérêt. »

Richard Avenel, surpris de cette bonté inattendue, et touché, sans savoir pourquoi, de l’accent doux et mélancolique d’Harley, pressa vivement la main qui lui était tendue, et, pris d’un rare accès de timidité, rougit, toussa, regarda par terre, puis de côté, avant de trouver ses mots qui d’ordinaire ne se faisaient pas attendre. « Vous êtes bien bon, lord L’Estrange ; c’est ce qui s’appelle se conduire en gentleman. Je le sens là, milord, dit Avenel en frappant son gilet jaune. Mais pour ne pas perdre de temps (car le temps, c’est de l’argent), j’arrive à la question. Il s’agit du bourg de Lansmere. L’influence de votre famille y est puissante ; mais pardonnez-moi de dire que vous ignorez sans doute que j’y possède, moi aussi, une influence rivale et considérable. Cela ne vous offense pas, j’espère ; les opinions sont libres, vous savez. Et le flot populaire monte de notre côté, je veux dire du mien, dans la crise qui se prépare, c’est-à-dire les élections prochaines. D’un autre côté, j’ai pour le comte de Lansmere, un profond respect ; mon père, John Avenel, a toujours été un bleu déterminé, et mon respect pour vous depuis que je suis dans cette chambre, pèse aussi d’un grand poids dans la balance. Je voudrais donc voir s’il n’y aurait pas moyen de nous arranger, et de nous partager le bourg par une convention amiable, comme doivent faire des hommes politiques lorsqu’ils causent en particulier, sans qu’il soit besoin de cette sorte de blague si commune dans ce vieux pays pourri. Qu’en dites-vous, milord ?

— Monsieur Avenel, dit Harley, s’arrachant avec peine à la préoccupation qui l’avait dominé pendant les premières phrases de Dick, je crains de ne pas bien vous comprendre, mais je n’ai d’autre intérêt, dans l’élection qui se prépare à Lansmere, que de servir un homme qui, quelles que soient vos opinions, est, vous en conviendrez…

— Un austère intrigant.

— Monsieur Avenel, il est impossible que nous parlions, de la même personne, je parle, moi, d’un des premiers hommes d’État de notre temps, de M. Audley Egerton, de…

— Un roide et pompeux aristocrate.

— Mon meilleur et mon plus ancien ami. »

Ces derniers mots, bien que dits avec douceur, suffirent pour imposer un moment silence à Dick, et lorsqu’il reprit la parole ce fut d’un autre ton.

« Je vous demande pardon, milord. Bien entendu je ne veux rien dire d’injurieux pour votre ami. — Je suis bien fâché qu’il soit votre ami. En ce cas, je crains qu’il n’y ait rien à faire. Mais M. Audley Egerton n’a pas la plus petite chance. Permettez-moi de vous en convaincre. Et Dick tira de sa poche un petit carnet, relié en maroquin rouge. C’est mon livre d’élections, milord. Je ne suis pas un aristo-