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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/271

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« Ensuite, continua M. Dale, il vous plaît de vous tourmenter en comparant votre origine et votre fortune à celle de miss Digby, la pupille de lord L’Estrange, l’hôte de lady Lansmere. Vous dites que si lord L’Estrange eût approuvé la pensée d’une telle union, il aurait eu avec vous un ton différent, il aurait sondé votre cœur, encouragé vos espérances, et…, je vois les choses différemment, j’ai des raisons pour cela, et d’après tout ce que vous m’avez dit de l’intérêt que ce gentilhomme prend à votre carrière, je ne crains pas de vous promettre que si miss Digby consent à vous donner sa main, lord L’Estrange ratifiera son choix.

— Mon cher monsieur Dale ! s’écria Léonard avec transport, vous me promettez cela ?

— Oui, d’après ce que vous m’avez dit et d’après ce que je sais moi-même de lord L’Estrange. Allez donc à Knightsbridge, voyez miss Digby, — ouvrez-lui votre cœur, — faites-lui connaître si vous voulez, vos espérances d’avenir ; demandez-lui la permission de vous adresser à lord L’Estrange (puisqu’il s’est constitué son tuteur), et si lord L’Estrange hésite, ce qui ne me paraît pas probable, faites-le-moi savoir et laissez-moi le reste. »

Léonard se rendit à l’éloquence persuasive du pasteur. Lorsqu’il se rappelait les passages du manuscrit de Nora ayant trait à l’amour qu’Harley avait eu pour celle-ci (car il était convaincu qu’Harley et le jeune amant étaient une même personne), et quand il s’expliquait l’intérêt que lui avait témoigné Harley par sa parenté avec elle, le jeune homme, raisonnant d’après son propre cœur, ne pouvait s’empêcher de supposer que le noble Harley se réjouirait d’assurer le bonheur du fils de celle qu’il avait tant aimée.

« Et c’est à toi, peut-être, ô ma mère ! pensait Léonard les larmes aux yeux ; c’est à toi peut-être, dans ton tombeau, que je devrai la compagne de ma vie, de même que j’ai dû au souffle mystique de ton génie les premières aspirations de mon âme ! »

On voit que Léonard n’avait pas confié au curé la découverte qu’il avait faite du manuscrit de Nora, ni même la connaissance certaine qu’il avait acquise de sa naissance ; car le fils reculait naturellement devant toute confidence de nature à porter atteinte à la vertu de Nora, du moins jusqu’à ce qu’Harley, qui, d’après le manuscrit, avait dû connaître intimement son père, décidât la question que ces papiers laissaient cruellement indécise, savoir : s’il était le fruit d’un mariage légal, ou si Nora avait été victime d’une fraude impie.

Tandis que le ministre parlait, que Léonard écoutait et réfléchissaient, leurs pas s’étaient instinctivement dirigés vers Knightsbridge et ils s’arrêtèrent à la porte de l’hôtel Lansmere.

« Entrez, mon jeune ami, je vous attendrai dehors pour savoir le résultat de votre entretien, dit M. Dale d’un ton encourageant. Allez et jouissez en remerciant le ciel du plus grand bienfait qu’il puisse accorder à un homme mortel, ou soumettez-vous au plus vif chagrin que connaisse la jeunesse, en croyant humblement que le chagrin lui-même n’est qu’un bienfait caché de la divine miséricorde. »