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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/276

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due, de réveiller tes facultés, que tu deviendrais enfin l’ornement de ton pays, comme le promettait ta première jeunesse ? Car tu es injuste envers Audley, je te l’assure, Harley !

— Injuste ! je ne croyais pas l’être. Continuez.

— Je n’excuse pas sa rivalité, ni le secret qu’il a d’abord gardé à ce sujet. Mais, crois-moi, depuis lors ses remords sincères, sa tendresse inquiète, sa crainte de perdre ton amitié…

— Arrêtez : c’est sans doute Audley qui vous a engagée à cacher ce que vous appelez « ses relations » avec celle que je puis maintenant nommer avec calme, avec Léonora Avenel ?

— Oui, il est vrai, mais par des motifs que…

— Il suffit ; ne m’en dites pas davantage.

— Mais tu ne jugeras pas trop sévèrement ce qui s’est passé ; tu vas former de nouveaux nœuds. Tu ne peux être assez criminel pour méditer ce que ton visage semble exprimer. Tu ne peux songer à te venger, à menacer la vie d’Audley, à exposer la tienne ?

— Tut ! Tut ! Qui vous parle de duel ? Ces combats singuliers sont passés de mode, ce n’est plus avec l’épée et le pistolet que les hommes civilisés s’attaquent et se tuent. Tut ! la vengeance. Il est bien question de vengeance lorsque je suis ici, en ce moment pour obtenir de mon père la permission de me charger de l’élection d’Audley. Ce qu’il a de plus précieux au monde, c’est sa position politique, et ici elle est en jeu. Vous savez que j’ai toujours passé pour un homme faible, facile et généreux ; ces sortes d’hommes ne sont pas vindicatifs. Ah ! vous posez votre main sur mon bras ; je connais la magie de cette légère pression, ma mère, mais elle a perdu tout pouvoir sur moi. Comtesse de Lansmere, écoutez-moi ! Depuis mon enfance (excepté lors de cette passion frénétique pour laquelle aujourd’hui je me méprise moi-même), je vous ai obéi en fils respectueux. Maintenant nos positions relatives sont quelque peu changées. J’ai le droit d’exiger, je ne dirai pas d’ordonner, le droit que l’injustice soufferte donne à tout homme. Oui, madame, l’homme auquel il a été fait tort a des privilèges qui le disputent à ceux des rois. Je vous prie donc maintenant de ne plus me questionner, de ne plus prononcer le nom de Léonora, à moins que je ne vous y invite, et de ne pas informer Audley Egerton, par un mot, par un regard, que j’ai découvert, comment dirai-je ? son « excusable perfidie. » Promettez-le-moi par votre affection de mère et sur votre parole de femme et de chrétienne, ou bien, je vous le jure, vous ne me reverrez de votre vie. »

Si hautaine et si impérieuse que fût la comtesse, la voix et le regard d’Harley lui imposèrent.

« Est-ce là, mon fils, mon doux Harley ? murmura-t-elle. Oh ! passe encore une fois tes bras autour de mon cou, fais-moi voir que je n’ai pas perdu mon enfant ! »

Harley parut attendri ; il n’obéit pas à la pathétique prière de sa mère, mais il lui tendit la main en détournant la tête, et dit d’un ton plus doux :