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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/278

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n’est pas trop tard pour que vous suiviez son exemple. Qui d’entre ceux qui vous ont connus tous deux dans votre première jeunesse, bien qu’Audley eût sur vous l’avance de quelques années, eût pensé que c’était lui qui serait l’homme distingué et éminent, et que vous dégénéreriez en un flâneur et insoucieux de toute gloire, redoutant tout travail ? Vous qui aviez sur lui l’avantage non-seulement d’une grande fortune, mais encore, à ce que disait chacun, de talents supérieurs ; vous qui respiriez alors une si noble ambition, un si ardent amour de la gloire, qui couchiez avec les Vies de Plutarque sous votre oreiller, et qui ne péchiez alors que par excès d’énergie. Mais vous êtes encore jeune, il n’est pas trop tard pour réparer le temps perdu.

— Les années ne sont rien, que de simples dates dans un almanach ; mais les sentiments, qui pourra me les rendre ? L’espoir, l’enthousiasme, le… n’importe ! Ce ne sont pas les sentiments qui aident un homme à s’élever. Les sentiments d’Egerton n’ont rien de trop ardent. Mais laissez-là ce que j’aurais pu être ; parlons de l’exemple que vous me donnez, d’Audley Egerton.

— Il faut absolument que nous le fassions nommer, dit le comte en baissant la voix. La chose est plus importante pour lui que je ne l’avais cru d’abord. Mais ses secrets vous sont connus. Pourquoi ne m’avez-vous pas confié franchement l’état de ses affaires ?

— Ses affaires ! Voulez-vous dire qu’elles soient sérieusement embarrassées ? Cela m’intéresse vivement. Expliquez-vous, je vous en prie. Que savez-vous ?

— Il a renvoyé la plus grande partie de ses gens. Cela n’a rien que d’assez naturel, puisqu’il quitte le ministère ; mais cette mesure a donné l’éveil, et le bruit se répand que non-seulement ses domaines sont hypothéqués au delà de leur valeur, mais qu’il a vécu depuis quelque temps de billets escomptés ; qu’en un mot, il a été trop intime avec un homme que nous connaissons tous de vue, un homme qui a les plus beaux chevaux de Londres, et qui, m’a-t-on dit, (mais je ne saurais le croire) vit familièrement dans la société de jeunes fous qu’il exploite. Comment donc s’appelle-t-il ? N’est-ce pas Lévy ? Oui, Lévy.

— J’ai en effet rencontré Lévy chez Egerton, dit Harley, et une joie sinistre illumina son œil d’aigle. Ah ! Lévy, dites-vous ; c’est bien.

— Je ne répète là que des commérages de club, reprit le comte, mais enfin on dit que ce Lévy ne fait pas mystère de son pouvoir sur notre illustre ami, qu’au contraire il s’en fait gloire auprès de notre parti (et il le pourrait auprès de tous, car Egerton a des amis personnels dans tous les camps), qu’il garde certains billets renfermés dans son bureau, jusqu’à ce qu’Egerton soit encore une fois en sûreté dans le Parlement. Néanmoins, si notre ami venait à échouer dans son élection et que Lévy fît saisir ses domaines et proclamât sa ruine, cela ferait un tort sérieux à sa carrière politique, la ruinerait peut-être tout à fait.