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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/285

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tous deux, le résultat pourra satisfaire à la fois les sentiments qui m’animent envers Audley Egerton et mes désirs pour vous qui, j’ai des raisons de le croire, égalerez un jour ses titres à mon estime.

« Tout à vous.

« Harley L’Estrange. »

« Là, monsieur Dale, dit Harley, cachetant sa lettre et la remettant aux mains de l’ecclésiastique. Vous donnerez cette lettre à votre jeune ami. Mais non, en y réfléchissant, puisqu’il ignore encore la visite que vous m’avez faite, mieux vaut qu’il continue à l’ignorer. Car, en cas que miss Digby préfère s’en tenir à ses premiers engagements, mieux vaut sans doute éviter à Léonard le chagrin de savoir que vous m’avez révélé une rivalité dont il avait gardé le secret. Que tout ce qui s’est dit entre nous demeure donc, je vous prie, strictement confidentiel.

— Je vous obéirai, milord, » répondit avec douceur l’ecclésiastique, étonné de voir que lui, qui était venu pour parler avec autorité, se soumettait maintenant à des ordres, et ne sachant quel jugement porter de l’homme qu’il avait cru coupable, qui n’avait même pas nié le crime qui lui était imputé, et qui cependant inspirait à son accusateur quelque chose de ce respect que M. Dale n’avait jusqu’ici ressenti que pour la vertu. Ah ! s’il avait pu lire dans ce cœur sombre et orageux sur lequel il se trompait doublement !

« C’est juste, murmura Harley lorsque la porte se fut refermée ; le serpent et la race du serpent. Ainsi, c’était le fils de cet homme que j’ai tiré de l’abîme du désespoir, et le fils imite sans le savoir la reconnaissance et l’honneur du père. Ha ! ha ! » Soudain ce rire amer s’arrêta ; un éclair de joie presque céleste traversa l’orage et les ténèbres. Si Hélène payait de retour l’affection de Léonard, Harley L’Estrange était donc libre ! Et à la lueur de cet éclair la figure de Violante brillait comme celle d’un ange. Mais la céleste lumière et l’angélique visage s’évanouirent brusquement, englouties dans le sombre abîme de cette âme torturée.

« Insensé ! s’écria à haute voix le malheureux dans son angoisse. Insensé ! Quand je serais libre, irais-je me confier encore pour être de nouveau trompé ? Dans toute la fraîcheur et la gloire de ma jeunesse, je n’ai pu conquérir le cœur d’une villageoise, et lorsque, cédant à une seconde illusion, je me suis vainement efforcé de faire germer pour moi quelque affection dans le cœur de l’orpheline que j’avais arrachée à la misère, élevée, chérie, protégée, comment obtiendrais-je l’amour de cette brillante princesse que tous les damoiseaux du grand monde vont entourer de leurs hommages et de leurs adulations lorsqu’elle apparaîtra dans leurs cercles. Si je suis voué à la trahison… quel enfer que cette seule pensée qu’une épouse puisse appuyer sa tête sur mon sein et… Oh ! horreur ! horreur ! Non, m’offrirait-elle sa main, je ne l’accepterais pas ; m’engageât-elle sa foi, je ne croirais pas à son amour. Courage, mon âme, sois enfin sage, n’aime jamais plus ; n’espère plus trouver la vérité ! »