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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/287

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pect, du moins un cœur rempli de votre seule image. Et ceci, il n’est pas en mon pouvoir de vous le donner. Pardonnez-moi, non pas ce que je dis maintenant, mais de ne pas l’avoir dit plus tôt. Pardonnez-moi, ô mon bienfaiteur, pardonnez-moi ?

— Relevez-vous, Hélène, dit Harley avec un regard moins sévère, bien que se défendant de céder à une émotion douce et sainte. Relevez-vous, et il l’attira vers la lumière. Laissez-moi voir votre visage. Il paraît sincère ; ces larmes sont sûrement honnêtes. Si je ne puis être aimé, c’est la faute de ma destinée et non pas votre crime. Maintenant écoutez-moi. Si vous ne pouvez m’accorder davantage, voulez-vous du moins avoir pour moi l’obéissance qu’une pupille doit à son tuteur, une fille à son père ?

— Oui, oh ! oui, s’écria Hélène.

— Eh bien donc, en même temps que je vous délie de toute promesse envers moi, je réclame le droit de refuser, si bon me semble, mon consentement à la demande de… de la personne que vous préférez. Je vous acquitte de toute fausseté, mais je me réserve de le juger. Voulez-vous me promettre de ne pas revenir, jusqu’à ce que j’aie moi-même sanctionné cette demande, sur le refus par lequel, si je vous comprends bien, vous y avez répondu tout à l’heure ?

— Je vous le promets.

— Et si je viens vous dire : « Hélène, cet homme n’est pas digne de vous… »

— Non, non, ne me dites pas cela ; je ne pourrais vous croire. »

Harley fronça le sourcil, mais reprit avec calme : « Eh bien donc, si je vous dis : « Ne m’en demandez pas la raison, mais je vous défends d’épouser Léonard Fairfield ; » que me répondrez-vous ?

— Ah ! milord, si vous pouvez le consoler, faites de moi ce que vous voudrez ; mais ne m’ordonnez pas de lui briser le cœur.

— Pauvre insensée ! s’écria Harley avec un rire de mépris. Les cœurs ne se brisent pas dans la race dont il sort. Mais j’accepte votre promesse avec sa crédule condition. Je vous plains, Hélène. J’ai été jadis aussi faible que vous, tout homme que je suis. Peut-être un jour rirons-nous tous deux au souvenir des folies qui aujourd’hui vous font pleurer. Je ne puis vous donner d’autre consolation, car je n’en connais point. »

Il alla vers la porte, et, s’arrêtant sur le seuil : « Je vais être quelques jours sans vous voir, Hélène. Peut-être prierai-je ma mère de venir me rejoindre à Lansmere ; en ce cas je vous demanderais de l’y accompagner. Pour le présent, laissez croire à tous que rien n’est changé dans votre position. Le jour peut venir où… »

Hélène leva les yeux et le regarda à travers ses larmes.

« Où je vous déchargerai de tout devoir envers moi, continua Harley avec une sévère froideur, peut-être aussi réclamerai-je l’accomplissement de votre promesse en dépit de la condition, car le cœur de votre amant ne sera pas brisé ! Adieu ! »