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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/29

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« Pour le comte de Peschiera, » dit-il tout haut,

L’Estrange tressaillit ; et lorsque Randal reprit son bras, il dit :

« C’est donc ici que loge cet Italien ? Et vous le connaissez ?

— Je le connais légèrement, comme on connaît un étranger qui fait sensation,

— Ah ! il fait sensation.

— Naturellement. Il est beau, spirituel et à ce que l’on dit fort riche, du moins tant qu’il continue à jouir des revenus de son parent exilé.

— Vous êtes bien informé, à ce que je vois, monsieur Leslie. Et à quoi attribue-t-on l’arrivée en Angleterre du comte de Peschiera ?

— J’ai entendu parler de quelque chose que je n’ai pas très-bien compris au sujet d’un pari qu’il aurait fait d’épouser la fille de son parent, afin, je suppose, de s’assurer ainsi la succession. On disait donc qu’il était ici dans le but de découvrir l’exilé et de faire la conquête de l’héritière. Mais vous savez sans doute jusqu’où on doit ajouter foi à ces bavardages ?

— Je sais du moins une chose, c’est que si Peschiera a fait un tel pari, je vous conseille de le tenir, ainsi que tout ce qu’on pariera de son côté, dit L’Estrange sèchement ; et tandis que ses lèvres tremblaient de colère, son regard brillait d’une gaieté ironique.

— Vous croyez donc que le pauvre exilé ne sera pas contraint d’accepter cette alliance pour recouvrer ses biens ?

— Certainement non, car je n’ai jamais vu de coquin contre lequel je ne parierais pas, lorsqu’il se fie à sa bonne chance contre la justice et la Providence. »

Randal fit la grimace, et il lui sembla qu’une flèche avait effleuré son cœur, mais il se remit aussitôt.

« Au reste, dit-il, le bruit circule vaguement que la jeune fille en question est déjà mariée à un Anglais. »

Cette fois, ce fut au tour d’Harley de faire la grimace. « Bonté divine ! s’écria-t-il ; la chose ne peut être vraie ; cela ruinerait tout ! Un Anglais ; justement en ce moment. Mais ce serait, j’espère, un Anglais d’un rang égal au sien ou du moins à un homme connu pour ses opinions opposées à ce que l’Autriche nomme les doctrines révolutionnaires ?

— Je l’ignore ; mais j’avais entendu parler simplement d’un gentilhomme de bonne famille. Cela ne suffirait-il pas ? La cour d’Autriche prétend-elle donc imposer un mariage à la fille, comme condition de la grâce du père ?

— Non, il ne s’agit pas de cela, dit Harley fort agité. Mais mettez-vous à la place d’un ministre quelconque d’une des grandes monarchies européennes. Supposez qu’un insurgé politique, redoutable par son rang et sa fortune, ait été proscrit malgré les clameurs d’un parti puissant, et qu’au moment même où ce ministre songe à se relâcher de sa sévérité, il apprenne que l’héritière de ce haut rang et de cette immense fortune est mariée à citoyen du pays où ces mêmes opinions pour lesquelles l’insurgé a été proscrit sont le plus po-