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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/30

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pulaires, qu’ainsi la fortune rendue pourra être employée à troubler la sécurité nationale, l’ordre de choses existant, et cela au moment où vient d’éclater en France une révolution[1], dont les effets se font sentir plus que partout ailleurs dans le pays même de cet exilé ; représentez-vous tout cela et dites-moi si quelque chose peut être plus défavorable aux espérances du proscrit, et fournir à ses adversaires un plus vigoureux argument contre la restitution de sa fortune ? Mais bast ! cela est nécessairement un conte ! Si c’était vrai, je l’aurais su.

— Je suis de l’avis de Votre Seigneurie ; cette rumeur doit être sans fondement. Quelque Anglais, ayant entendu parler de la rentrée probable du proscrit, aura peut-être compté sur une héritière et répandu ce bruit pour éloigner les autres prétendants. Et d’après ce que vous dites, s’il réussissait dans ses projets, sa fiancée pourrait bien, après tout, n’être pas une héritière.

— Il n’y a pas à en douter. Quel que fût l’arrangement auquel on s’arrêtât, je ne puis croire qu’on lui livrât cette fortune, bien qu’on la conservât peut-être pour ses enfants. Mais, en vérité, il est si rare de voir une Italienne d’un grand nom épouser un étranger, que nous ferons bien de chasser cette idée, en souriant de la face allongée du prétendant imaginaire. Dieu lui vienne en aide s’il existe !

— Amen, fit dévotement Randal.

— On m’a dit que la sœur de Peschiera est aussi en Angleterre. La connaissez-vous ?

— Un peu.

— Mon cher Leslie, pardonnez-moi une liberté que ne justifie pas le peu d’ancienneté de notre connaissance. Je n’ai rien à dire contre la dame. J’ai même appris certaines choses qui prouvent qu’elle a droit au respect et à la compassion. Mais quant à Peschiera, tous ceux qui font cas de l’honneur le soupçonnent d’être un coquin, et pour ma part, je sais qu’il en est un. Eh bien, je pense que plus longtemps nous conserverons cette horreur du vice, qui est le généreux instinct de la jeunesse, plus digne sera notre âge mûr et plus respectable notre vieillesse. Êtes-vous de mon avis ? » Et Harley se retournant soudain, ses regards tombèrent comme un flot de lumière sur le visage pâle et mystérieux de Randal.

« Certainement, » murmura l’intrigant.

Harley, après l’avoir regardé, se recula instinctivement et retira son bras.

Heureusement pour Randal, qui, sans trop savoir pourquoi, se sentait dans une fausse position, quelqu’un lui prit le bras, et une voix mâle et franche s’écria : « Comment allez-vous, mon cher ? Je vois que vous n’êtes pas libre en ce moment ; mais tâchez de passer chez moi dans le courant de la journée. » Et après avoir adressé à

  1. Comme il y a eu en France un grand nombre de révolutions, il peut n’être pas Inutile d’expliquer qu’Harley tait allusion à celle qui a exilé Charles X et placé Louis-Philippe sur le trône.