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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/290

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— Vous me soulagez d’un grand poids. Je voulais vous prier d’intercéder pour cela auprès de Riccabocca, du duc, veux-je dire (c’est si étrange de penser qu’il est duc !). Pour moi, hélas ! je ne puis rien donner à madame di Negra. Je pourrais à la vérité vendre ma commission ; mais j’ai contracté une dette qu’il me tarde de payer, et le prix même de ma commission n’y suffira pas ; et puis peut-être mon père serait-il encore plus irrité contre moi si je la vendais. Eh bien, au revoir. Je partirai maintenant content, comparativement du moins. Il faut savoir supporter ses chagrins en homme !

— Je serais cependant bien aise de vous revoir avant votre départ. Je passerai chez vous. En attendant pourriez-vous me dire le numéro d’un baron Lévy qui demeure dans cette rue ?

— Lévy ! Oh, n’ayez pas affaire à lui, je vous le conseille, je vous en supplie ! C’est le coquin le plus spécieux, le plus dangereux ! Pour l’amour du ciel ! écoutez mes avis et ne vous laissez pas entraîner à signer un post-obit.

— Rassurez-vous, je suis plus habitué à prêter de l’argent qu’à en emprunter, et quant à un post-obit, j’avoue que j’ai un sot préjugé contre cette sorte de transaction.

— Ne l’appelez pas sot, L’Estrange ; il vous honore. Combien je regrette de ne pas vous avoir connu plus tôt — il y a bien peu d’hommes du monde qui vous ressemblent ! Randal Leslie, tout irréprochable qu’il soit en beaucoup de choses, et bien qu’il ne fasse lui-même jamais de sottises a traité mes scrupules d’absurdes. Cependant…

— Un instant ; Randal Leslie, disiez-vous ? Quoi ! Il vous a conseillé d’emprunter sur un post-obit, et probablement, il a partagé l’emprunt avec vous.

— Oh, non ; il n’en a pas touché un seul shilling !

— Racontez-moi cela, Frank. Peut-être, puisque, comme je le vois, Lévy est mêlé à cette affaire, vos renseignements serviront-ils à me mettre sur mes gardes dans mes relations avec ce personnage. »

Frank, sans trop savoir pourquoi, se sentait tout à fait à l’aise avec Harley ; malgré son profond respect pour les talents de Randal, il avait vaguement l’idée que lord L’Estrange était au moins égal à celui-ci, et que son âge et son expérience devaient faire de lui un conseiller plus sûr et plus judicieux encore, il accorda donc volontiers la confiance qu’on lui demandait.

Il avoua à Harley ses dettes, ses relations avec Lévy, le malheureux post-obit qu’il s’était laissé entraîner à signer pour sauver Mme di Negra de la prison, la colère de son père, la lettre de sa mère, ses propres sentiments, mélange de honte et d’orgueil, qui l’empêchaient de témoigner un repentir qu’on pourrait croire intéressé, son désir de vendre sa commission, afin de racheter avec le prix de la vente une partie du post-obit, en un mot il fit une confession pleine et entière. Le nom de Randal Leslie fut naturellement mêlé à ce récit, et les adroites questions d’Harley lui en apprirent davantage sur le rôle joué par le jeune diplomate dans ces tristes affaires, que n’en savait le candide narrateur lui-même.