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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/293

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— Par le fait, avouez que vous seriez bien malheureux, en dépit de toute votre fortune, si les jeunes dandys qui se pressent à vos soirées, passaient sans vous saluer dans la rue, si lorsque votre cheval de race s’arrête devant notre club, le concierge vous fermait la porte au nez, si lorsque vous allez flâner au foyer de l’Opéra, chaque dissipateur de Fop’s-Alley, qui aujourd’hui n’attend qu’un trait de votre plume pour donner à ses billets doux le charme vainqueur qui lui attachera pendant un mois quelque nymphe de ballet, reculait devant le contact de votre index condescendant, avec plus de terreur que devant la tape sur l’épaule d’un recors au milieu de Pall-Mall ; — si enfin vous étiez réduit à la société des commis-voyageurs ou des capitaines parasites.

— Arrêtez, mon cher lord, s’écria Lévy en riant avec affectation ; bien qu’un tel état de choses soit impossible, la seule peinture en est effrayante. Qu’on m’interdise May-Fair ou Saint-James et je me pends dans mon cabinet.

— Et cependant, mon cher baron, tout ceci peut arriver s’il m’en prend fantaisie, et tout ceci arrivera à moins qu’avant que je ne quitte votre maison, vous n’acceptiez les conditions que je viens vous imposer.

— Milord ! s’écria Lévy se levant et tirant son gilet avec un mouvement nerveux : si vous n’étiez pas sons mon toit, je…

— Trêve de fanfaronnades ! Asseyez-vous, monsieur, asseyez-vous. Je vais vous expliquer brièvement mes menaces, plus brièvement encore mes conditions, et il est probable que vous ne vous montrerez pas beaucoup plus prolixe dans vos réponses. Je ne puis toucher à votre fortune, mais je puis détruire les jouissances qu’elle vous procure. Refusez mes conditions, faites de moi votre ennemi et je vous déclare la guerre. J’interrogerai tous les jeunes fous que vous avez ruinés. J’apprendrai l’histoire de toutes les transactions auxquelles vous devez la fortune qu’il vous plaît de dépenser en courtisant le monde et en partageant les vices d’hommes qui… qui vont avec ces salons Louis XV ! Pas une de vos friponneries ne m’échappera, depuis la première, jusqu’à votre récente connivence avec un scélérat italien pour l’enlèvement criminel d’une héritière mineure ; je proclamerai tous ces détails dans tous les clubs où vous êtes admis, dans tous ceux où vous pourriez espérer de vous glisser. Je les communiquerai à quelques hommes faisant autorité dans la presse, tel que M. Henry Norrey, par exemple ; je les ferai publier dans les journaux les plus accrédités, sous la garantie de mon nom, si bien qu’il vous faudra tacitement accepter des révélations qui vous déshonoreront à jamais, ou intenter devant les tribunaux des procès qui convertiront ces accusations en faits évidents. Vous n’êtes que toléré dans le monde — vous en serez chassé lorsqu’un homme comme moi viendra dénoncer vos friponneries. Vous feindriez en vain de rire de mes menaces, — votre pâleur témoigne de l’effroi qu’elles vous inspirent. J’ai bien rarement dans ma vie tiré avantage de mon rang et de ma position, mais je rends grâce au ciel qu’ils me donnent le pouvoir de faire respecter ma voix et triompher mes assertions.