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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/302

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la grande salle de son hôtel, et qui alors avait été imprimée et répandue parmi les électeurs.

Randal, bien qu’il s’exprimât avec plus de facilité et de sang-froid que ne le font généralement les orateurs à leur début, produisait peu d’effet dans les réunions populaires, car, on n’agit sur ces sortes d’assemblées que par le cœur, et celui de Randal était, comme nous savons, des plus petits. S’il se tenait à son propre niveau, il se montrait si subtil et si raffiné qu’il n’était pas compris ; s’il tombait dans la fatale erreur, commune à plus d’un orateur, de vouloir s’abaisser au niveau intellectuel de ses auditeurs, il se montrait alors laborieusement stupide. Aucun homme ne parle trop bien pour la foule, de même qu’aucun homme n’écrit trop bien pour le théâtre, mais dans l’un ni l’autre cas il ne doit se livrer aux figures de rhétorique, ni diviser en périodes d’arides et secs raisonnements. C’est aux émotions ou aux caprices de la foule que doit s’adresser l’orateur populaire ; son regard doit s’illuminer de sentiments généreux, ou ses lèvres sourire à des saillies animées.

La voix de Randal aussi, quoique flexible et persuasive dans la conversation particulière, était grêle et fausse lorsqu’il en forçait le volume pour être entendu d’une nombreuse assemblée. La duplicité de sa nature semblait percer lorsqu’il élevait cette voix exercée à la perfidie. Les hommes comme Randal peuvent arriver à être d’habiles, d’admirables avocats spéciaux, mais il leur est aussi impossible de devenir orateurs que de devenir poètes. Il leur faut des auditeurs instruits, et plus le nombre de ceux-ci sera limité, c’est-à-dire plus le cerveau dominera l’action du cœur, plus ils seront goûtés.

Dick Avenel se montrait généralement bref et énergique dans ses discours. Il avait deux ou trois thèmes favoris d’un effet infaillible. Il était un concitoyen, le fils de ses œuvres, il voulait affranchir sa ville natale de l’usurpation aristocratique, c’était la cause des électeurs, non pas la sienne qu’il plaidait, etc. Il disait peu de chose contre Randal ; c’était pitié de voir un jeune homme de talent lier son avenir à deux aunes de ruban rouge fané ; il ferait mieux de prendre en main la solide corde que le peuple, en compassion de sa jeunesse, était encore disposé à lui tendre pour l’empêcher de sombrer, etc., etc. Mais quant à Audley Egerton, le gentleman qui ne voulait pas se montrer, qui avait peur de se trouver en face des électeurs, qui ne pouvait parler que dans une assemblée tenue à huis clos, accoutumé comme il l’avait été toute sa vie à d’obscurs et coupables tripotages, etc. Dick une fois lancé sur ce sujet prononçait de véritables philippiques. Léonard, au contraire, n’attaquait jamais l’ami d’Harley, M. Egerton, mais il était sans pitié contre celui qui avait escamoté la réputation de Burley et que d’ailleurs il savait qu’Harley méprisait comme lui cordialement. Et Randal, bien que débordant de colère, n’osait prendre sa revanche, dans la crainte d’offenser l’oncle de Léonard. Les discours de ce dernier étaient infiniment plus goûtés de la foule que ceux des deux autres candidats. Bien que son tempérament fût celui de l’écrivain plus que celui de l’orateur,