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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/303

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bien qu’il abhorrât cette exhibition théâtrale de soi-même qui rend ce qu’on appelle le débit plus important que les idées, bien qu’il s’intéressât médiocrement aux discussions des partis politiques et que son cœur fût en ce moment à mille lieues des bleus et des jaunes de Lansmere, cependant, une fois contraint d’agir, il anima ses discours de l’éloquence naturelle à sa conversation. Un sang bouillant coulait dans ses veines ; son aversion pour Randal aiguisa ses railleries et enflamma ses arguments d’invectives passionnées. Il ne voyait d’ailleurs d’autre motif à la requête d’Harley que le désir qu’avait celui-ci de faire échouer l’homme que, tous deux, ils regardaient comme un imposteur. Quelques mots échappés à Avenel, confirmèrent Léonard dans cette idée, en lui donnant à penser que s’il ne s’était pas présenté, son oncle eût usé de toute son influence en faveur de Randal et contre Egerton. Léonard dut renoncer à raisonner avec la haine d’Avenel pour l’ancien ministre, et, d’autre part, ni caresses ni menaces ne purent obtenir du jeune homme d’abandonner la guerre qu’il faisait à Randal, pour livrer assaut à l’homme qu’il savait être aimé d’Harley « comme un frère. »

Dick, de son côté, gardait le livre de canvass des jaunes tout aussi secret qu’Harley faisait de celui des bleus, et, malgré quelques accès d’humeur, se donnait pour Léonard les mêmes peines qu’Harley pour Randal. Il restait néanmoins un corps compact de cent cinquante électeurs, pour la plupart francs-tenanciers, dont ni l’un ni l’autre parti n’avait pu obtenir aucune promesse. Voteraient-ils pour les bleus ? voteraient-ils pour les jaunes ? Personne ne pouvait rien présager à cet égard ; ils déclaraient seulement qu’ils voteraient tous du même côté. Les émissaires secrets de Dick tournaient nuit et jour autour de cette phalange. Cent cinquante votants ! L’élection était entre leurs mains ! Jamais mains ne furent plus cordialement serrées, retenues si longtemps et si affectueusement ! Mais les votes n’en tenaient pas moins après les mains aussi solidement que s’ils eussent fait partie de leur peau, ou de leur crasse, ce qui était à peu près identique.


CHAPITRE XIX.

Lorsqu’Audley se réunissait, le soir, aux hôtes de Lansmere, tandis qu’Harley était enfermé avec Lévy et le comité bleu, et que Randal faisait le tour des cabarets, la personne avec qui il causait le plus habituellement était Violante. En dépit de sa tristesse, il avait été frappé en la voyant, moins de sa beauté extraordinaire que d’un je ne sais quoi dans l’expression de sa physionomie qui, malgré la différence du teint et des traits, lui rappelait Nora ; et lorsqu’en faisant