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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/305

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Hélène (baissant les yeux). Je ne pourrai jamais y croire.

Harley. Pourquoi ?

Hélène. Parce que ce serait si indigne de lui !

Harley. Pauvre enfant ! vous avez les illusions de votre âge. Vous colorez un nuage de toutes les teintes de l’arc-en-ciel, et vous refusez de croire qu’il emprunte sa gloire au soleil de votre imagination. Mais en ceci du moins, vous ne vous trompez pas, Léonard n’agit que d’après mes désirs, et même, à ce que je crois, contre sa volonté. Il est dépourvu de la plus noble passion de l’homme, il n’a pas d’ambition.

Hélène. Lui, pas d’ambition !

Harley. C’est la vanité qui excite le poète au travail, si toutefois l’on peut appeler travail la capricieuse poursuite qu’il fait de ses propres chimères. L’ambition est une passion plus mâle. »

Hélène secoua doucement la tête, mais ne répondit pas.

Harley. Si je prononce un mot qui combatte vos illusions, vous secouez la tête et vous êtes incrédule. Écoutez un instant mes conseils, les derniers peut-être dont je vous fatiguerai jamais ; levez les yeux ; regardez autour de vous. Aussi loin que la vue peut atteindre, bien au delà même de la ligne que trace l’horizon, s’étendent les terres qui seront mon héritage. En face de vous est la maison dans laquelle mes ancêtres, pendant plusieurs générations, ont vécu avec honneur et sont morts regrettés. Tout cela, selon le cours de la nature, aurait pu vous appartenir, si vous n’aviez pas rejeté mes propositions. Je vous ai offert sinon ce qu’on est convenu d’appeler amour, au moins une estime sincère et une affection durable. Vous n’avez pas été élevée, je le sais, dans la basse idolâtrie des avantages mondains ; mais le cœur le plus romanesque ne saurait mépriser le pouvoir d’être utile, et celle qui partagera ma fortune en pourra disposer de façon à réparer les torts de mon indolence. D’un autre côté, en admettant même qu’aucun obstacle ne s’oppose à votre préférence pour Léonard, que vous apporte ce choix ? sa famille est commune et sans éducation ; il n’a d’autre revenu que celui qu’il tire de travaux précaires ; la plus vulgaire des inquiétudes, celle du pain pour le lendemain, se mêlera forcément à votre roman et dépouillera votre âme de toute poésie. Vous croyez que son affection vous consolera de tout sacrifice ? Folie ! Les poètes n’aiment qu’une vision, qu’un fantôme, qu’ils appellent leur idéal. Ils croient un moment avoir trouvé cet idéal dans Chloé, Philis, ou Hélène. — Mais bast ! la première fois que vous viendrez trouver le poète le mémoire du boulanger à la main, que deviendra l’idole ? J’ai connu quelqu’un de plus brillant que Léonard, de plus richement doué par la nature, c’était une femme, elle vit un homme froid et dur comme la pierre qui est à vos pieds, un homme au cœur vide et ambitieux, elle fit de lui son idole ; son imagination le para de tous les dons que l’histoire attribue à César, la mythologie à Apollon ; — elle fut pour lui le jouet d’une heure ; elle mourut, et avant que l’année fût écoulée il avait fait un mariage d’argent ! Moi-même, alors que j’avais