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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/306

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à peine votre âge, j’ai aimé, et un ange même m’eût-il averti, j’eusse été comme vous incrédule. Peu importe comment finit cet amour, mais enfin, sans ce triste rêve, j’eusse vécu et agi comme les hommes de mon rang, j’eusse fait un mariage raisonnable, et je serais aujourd’hui utile et heureux. Réfléchissez donc. Me préférerez-vous Léonard Fairfield ? Pour la dernière fois, je vous offre le choix, moi et toute la substance de la vie réelle, Léonard Fairfield et les ombres d’un rêve passager. Parlez ! Vous hésitez. Prenez le temps de vous décider.

Hélène. Ah ! milord, vous qui avez su ce que c’est que d’aimer, pouvez-vous douter de ma réponse ? Pouvez-vous penser que je serais assez basse, assez ingrate pour accepter de vous ce que vous nommez la substance de la vie réelle, tandis que mon cœur serait loin de vous, fidèle à ce que vous appelez un rêve ?

Harley. Mais ne pouvez-vous secouer ce rêve ?

Hélène (rougissant jusqu’aux tempes). J’ai eu tort de l’appeler un rêve ; c’est pour moi la seule réalité véritable.

Harley (lui prenant la main et la baisant avec respect). Hélène, vous êtes un noble cœur et c’est en vain que je vous ai tentée. Je regrette votre choix, mais je cesse de m’y opposer ; je le regrette, bien que je ne doive pas être témoin de votre désappointement. Une fois la femme de Léonard, je ne vous verrai plus.

Hélène. Oh ! non, ne dites pas cela. Pourquoi ? Comment ?

Harley (fronçant le sourcil). Il est l’enfant de la honte et de la trahison. Son père est mon ennemi et ma haine s’étend jusqu’au fils. Et lui aussi, il me dérobe… mais les plaintes sont inutiles. Encore quelques jours, et vous devrez ne penser à moi que comme à quelqu’un qui renonce au droit de contrôler vos actions et qui est étranger à votre sort futur. Bast ! séchez vos larmes. Tant que vous aimerez Léonard et que vous m’estimerez, vous devrez vous réjouir que nos chemins n’aient pas à se croiser.

Et il marcha en avant avec impatience ; mais Hélène, inquiète et étonnée, le suivit, elle lui prit timidement le bras et s’efforça de radoucir. Elle sentait qu’il était injuste envers Léonard ; qu’il ignorait que celui-ci avait sur-le-champ renoncé à elle en apprenant à qui elle était fiancée. Elle domina sa timidité et voulut s’expliquer, mais à peine avait-elle bégayé quelques mots qu’Harley, qui n’avait contenu qu’avec effort les émotions qui l’agitaient, la quitta brusquement et s’enfonça dans les taillis où disparut bientôt à ses yeux.

Tandis qu’avait lieu cette conversation entre Harley et sa pupille, le soi-disant Riccabocca et Violante se promenaient lentement dans le parc. Le philosophe, que distinguaient toujours le parapluie rouge et la pipe accoutumée, se dirigea instinctivement vers la partie la plus soleilleuse du jardin, regardant souvent en silence et avec tendresse le visage triste et abattu de Violante ; à chaque coup d’œil sortait de la pipe un nuage plus épais, obéissant à un soupir plus profond.

À la fin, arrivé à un endroit exposé au midi, sur lequel semblaient