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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/307

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réunis tous les pâles rayons du soleil de novembre, protégé contre le vent du nord par un mur élevé, contre la bise de l’est par un épais bosquet d’arbres, Riccabocca s’arrêta et s’assit.

« Ma fille, dit-il, attirant près de lui Violante, ma fille, vois comme ceux qui se tournent vers le midi parviennent encore à trouver le côté brillant du paysage ! Dans toutes les saisons de la vie, combien le froid ou la chaleur dépendent de l’aspect que nous choisissons. Assieds-toi et raisonnons. »

Violante s’assit passivement, serrant la main de son père entre les siennes. Raisonner, ce mot sonne tristement aux oreilles de ceux que domine le sentiment !

« Tu redoutes, reprit Riccabocca, non-seulement les hommages, mais jusqu’à la présence de celui en qui l’honneur m’oblige à voir ton futur époux. »

Violante retira ses mains et s’en couvrit le visage en frémissant.

« Mais, continua Riccabocca avec un peu d’humeur, ce n’est pas là écouter la raison. Je pourrais repousser la demande de M. Leslie, parce que ni son rang ni sa fortune ne lui donnent le droit de prétendre à la main d’une fille de ma maison ; chacun trouverait cela raisonnable de la part d’un père ; excepté, ajouta le pauvre philosophe, s’efforçant de paraître gai et appelant un proverbe à son aide, excepté ceux qui se rappelleraient la parole du sage : Casa il figlio quando vuoi et la figlia quando puoi. Pour parler sérieusement, si je me montre indulgent quant à ce qui manque à M. Leslie, te sied-il d’être plus sévère ? Ce qui chez moi serait de la raison, est chez toi tout autre chose. M. Leslie est jeune, d’un physique agréable, il a l’air distingué, il t’aime passionnément, et il l’a prouvé en risquant pour toi sa vie contre cet infâme Peschiera (je veux dire qu’il l’aurait risquée si Peschiera n’eût été embarqué la veille). Si donc tu consens à écouter la raison, que peut celle-ci trouver à redire chez M. Leslie ?

— Mon père, je le déteste.

Cospetto ! fit Riccabocca avec impatience, tu n’as aucune raison de le détester. Si tu en avais, mon enfant, je serais le dernier à te contrarier. Comment peux-tu savoir toi-même ce que tu penses à ce sujet ? Ce n’est pas comme si tu en avais vu d’autres. C’est le seul homme de ton âge que tu connaisses, si l’on en excepte Léonard Fairfield, qui, je l’avoue, est plus bel homme que M. Leslie et lui est supérieur par l’imagination, mais en qui, cependant, tu dois naturellement toujours voir le garçon qui travaillait dans notre jardin. Ah ! il y a encore Frank Hazeldean, c’est vrai ; un charmant garçon ! mais tu connais l’objet de son affection. En un mot, dit le sage se résumant d’un ton dogmatique, je ne vois personne que même par caprice tu puisses préférer à M. Leslie ; et pour une jeune fille qui n’en a pas d’autre en tête, détester un jeune homme bien fait et spirituel, c’est une absurdité : Chi lascia il poco per aver l’assai, nè l’uno, nè l’altro avera mai. Ce qui peut se paraphraser ainsi : la jeune fille qui refuse un mortel dans l’espoir d’obtenir un ange,