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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/308

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perdra l’un et ne trouvera jamais l’autre. Et maintenant, après avoir vu que le côté sombre de la question est contraire à la raison, examinons-en le côté brillant. D’abord…

— Oh ! mon père ! mon père ! s’écria Violante avec passion, vous qui me consoliez autrefois de tous mes chagrins d’enfant, ne me parlez pas avec cette froide légèreté. Voyez, j’appuie ma tête sur votre poitrine, je vous entoure de mes bras, et maintenant aurez-vous bien le cœur d’exiger que je sois toute ma vie malheureuse ?

— Ma fille ! mon enfant ! ne sois pas si opiniâtre. Combats du moins des préventions que tu ne saurais justifier. Violante, ma chérie, ceci est sérieux. Je dois cesser d’être ici le père tendre et trop faible dont tu fais tout ce que tu veux. Ici, je suis le duc de Serrano, car mon honneur et ma parole sont engagés. Alors que je n’étais qu’un malheureux exilé, sans espoir de rappel, tremblant comme un poltron à la pensée des ruses de Peschiera, avide de tous les moyens de te sauver des pièges que je redoutais, j’ai moi-même offert ta main à Randal, je la lui ai offerte, promise, solennellement engagée ; et maintenant que ma fortune semble assurée, que mon rang me sera probablement rendu, que mon ennemi est écrasé et que mes craintes sont calmées, j’irais lui refuser ce que je lui ai moi-même offert ? Ce n’est pas le gentilhomme, c’est le parvenu qui une fois riche, oublie ceux qui ont été les amis de sa pauvreté. Me siérait-il de donner cette misérable excuse, à coup sûr bien nouvelle dans la bouche d’un prince italien, que je ne puis obtenir l’obéissance de ma fille ? M’exposerai-je à cette mortifiante réponse : « Duc de Serrano, vous aviez obtenu cette obéissance alors qu’exilé, pauvre et persécuté, vous m’offrîtes une fiancée sans dot ! » Mon enfant, ma bien-aimée Violante, fille d’ancêtres dont l’honneur est toujours demeuré sans tache, je t’adjure de tenir la parole de ton père !

— Mon père, faut-il donc qu’il en soit ainsi ? Le refuge du couvent ne m’est-il pas même laissé ? Oh ! ne me regardez pas si froidement ; si vous pouviez seulement lire dans mon cœur ! Et je suis si sûre que vous vous repentirez un jour, si sûre que cet homme n’est pas ce que vous le croyez. Je le soupçonne si fort d’avoir joué un rôle secret et perfide.

— Oh ! fit Riccabocca, Harley t’a mis cela en tête.

— Non ; mais Harley, lord L’Estrange n’est-il pas parmi ceux dont vous avez lieu d’estimer l’opinion ? Et s’il soupçonne M. Leslie ?

— Qu’il justifie ses soupçons par des preuves de nature à dégager ma parole, et je partagerai ta joie. Je le lui ai dit. Je l’ai invité à motiver ses soupçons, il m’a remis à plus tard. Cela lui est impossible, ajouta Riccabocca avec découragement ; Randal m’a déjà parfaitement expliqué ce qui a paru équivoque à Harley. Violante, l’honneur de mon nom est entre tes mains. Sacrifie-le si tu veux ; je n’ai pas la force de te contraindre, et je ne saurais descendre à la prière. Noblesse oblige. En reprenant les droits de ta naissance, tu as repris les devoirs qu’elle impose. Qu’ils décident donc entre un vain caprice et les remontrances solennelles de ton père ! »