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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/328

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à la nation tout entière, son discours était celui d’un homme en qui celle-ci n’avait pas cessé de reconnaître un de ses chefs, et qui désirait écarter de sa carrière passée toute injuste accusation, se promettant, si la vie lui était laissée, de s’élever plus haut qu’il n’avait encore fait, publiant un manifeste qu’il comptait réaliser une fois au pouvoir, et plantant un drapeau, autour duquel les escadrons rompus d’une armée en déroute viendraient se rallier pour de nouveaux combats, pour de nouvelles victoires. Peut-être aussi, dans les profondeurs de son âme (ce qui ne pouvait être compris par les sténographes, ni deviné par le public), plus touché de l’incertitude de la vie que des espérances de l’ambition, voulait-il laisser derrière lui une complète justification de cette intégrité politique au sujet de laquelle du moins sa conscience ne lui reprochait rien.

« Pendant plus de vingt ans, dit-il en terminant, il n’est pas un de mes jours qui n’ait été consacré au service de mon pays ; j’ai pu parfois me trouver en opposition avec les désirs du peuple, je pourrai m’y trouver encore, mais ce sera toujours parce que je préfère son bonheur à ses caprices. Et si, comme je le crois, en certaines occasions j’ai, de concert avec des hommes d’une plus haute renommée, amélioré les lois de l’Angleterre, garanti sa sécurité, étendu son commerce, soutenu son honneur, j’abandonne le reste à la censure de mes ennemis et (ici sa voix trembla) à la charité de mes amis. »

Avant qu’eussent cessé les applaudissements qui accueillirent la conclusion de ce discours, Richard Avenel se leva. Ceux qui composent ce qu’on appelle la partie respectable d’un auditoire à savoir : les mieux élevés et les mieux habillés, même du côté jaune, souffrirent pour l’honneur du bourg natal en contemplant le candidat qu’ils opposaient au grand orateur dont la noble figure remplissait encore tous les yeux et dont les majestueux accents résonnaient encore à toutes les oreilles. Mais la grande majorité des deux côtés accueillit la vue d’Avenel comme un soulagement, car le discours d’Egerton, tout en captivant l’attention de l’auditoire, avait un peu fatigué son intelligence. Les jaunes applaudirent et les bleus grognèrent ; il y eut un bruit de voix tumultueuses et un mouvement dans la masse agitée des visages barbouillés et des robustes épaules. Mais Dick avait autant d’audace et de courage qu’Audley lui-même, par degrés sa hardiesse, sa bonne mine et la curiosité d’entendre ce qu’il avait à dire lui conquirent le silence et l’attention ; et Dick, les ayant une fois conquis, s’arrangea de façon à les conserver. Sa hardiesse naturelle était encore stimulée par son amère rancune contre Egerton. Il s’était muni pour la circonstance d’un arsenal de citations des discours d’Audley, puisés dans Hansard, et tronquant ou assemblant ces textes de la manière la plus injuste et la plus ingénieuse, il réussit à diviser un tout conséquent en fragments contradictoires, à tirer de phrases inoffensives des axiomes si impopulaires, si arbitraires, si tyranniques, qu’il travestit le ministre éclairé et incorruptible, en un fourbe, habile et cauteleux, prêtant la main à d’ignobles tripotages, apologiste des massacres de Manchester, etc., etc. Et