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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/329

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chaque trait portait d’autant plus qu’il semblait avoir été provoqué par cette justification de ses actes à laquelle venait de se livrer l’ancien ministre. Ayant donc ainsi, comme il le déclara, « convaincu le très-honorable gentleman par ses propres paroles, » Dick se considéra comme autorisé à s’abandonner à ce qu’il appelait « la juste indignation d’un libre Anglais, » en d’autres termes à toutes les formes d’injure que le mauvais goût suggérait à l’aigreur de ses sentiments. Mais il le fit avec tant de rondeur, d’entrain et d’audace, dans un style si parfaitement approprié aux hustings, que, pour le moment du moins, il entraîna le gros du public avec lui, de façon à ce que les murmures indignés du comité bleu, et les marques d’improbation des plus aristocratiques d’entre les jaunes fussent étouffés par les applaudissements enthousiastes de la foule. Dick termina en déclarant emphatiquement que les temps de l’honorable gentleman étaient passés ; que le peuple avait été ruiné et pillé assez longtemps par de solennels intrigants qui ne songeaient qu’à leurs salaires et n’allaient jamais à leurs bureaux, si ce n’est pour y gâcher de l’encre, des plumes et du papier qui ne leur coûtaient rien. Le très-honorable gentleman s’était vanté d’avoir servi son pays pendant vingt ans. Servi son pays ! oui, il l’avait servi aux siens, aux aristocrates ! (Rires prolongés). Il était dans un bel état son pays ! En un mot, pendant vingt ans l’honorable gentleman avait eu la main dans les poches de l’Angleterre, « et je vous le demande, beugla Dick, y en a-t-il un seul parmi vous qui se trouve mieux de ce qu’il y a pris ? » Les cent cinquante hésitants branlèrent la tête. « Pour ça non ! » crièrent-ils douloureusement. « Vous entendez le peuple ! reprit Dick en se tournant majestueusement vers Egerton, qui, les bras croisés sur sa poitrine et la lèvre légèrement plissée, demeurait immuable comme Atlas ; vous entendez le peuple ! il vous condamne vous et les vôtres. Je répète ce que j’ai juré dans une autre occasion : aussi vrai que je m’appelle Richard Avenel, il vous en cuira de… (ici Dick hésita) de votre injuste dédain pour les droits, les plaintes et les aspirations de vos compatriotes indignés. Le maître d’école est à l’œuvre et le lion britannique se réveille ! »

Dick alla se rasseoir. Le pli du mépris s’était évanoui sur la lèvre d’Egerton ; en entendant prononcer avec tant d’amertume le nom d’Avenel, il avait soudain mis la main devant son visage.

Mais bientôt Randal Leslie quitta sa place, et Audley, levant les yeux, regarda son protégé avec une expression d’affectueux intérêt. Quel meilleur début pouvait désirer un jeune homme ardemment attaché, à un patron éminent qui venait d’être si grossièrement attaqué ? Quelle plus belle occasion un aspirant politique pouvait-il désirer pour défendre et glorifier les principes que représentait ce patron ? Les bleus, émus et indignés, se tenaient prêts à applaudir chaque phrase qui vengerait leur outrage ; les jaunes eux-mêmes, maintenant que Dick avait cessé de parler, sentaient vaguement que leur orateur s’était exposé à de cruelles représailles et qu’il méritait largement, surtout de la part de l’ami d’Egerton, n’importe quelle amère réplique