Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de si violentes insultes pourraient faire vibrer dans le cœur de l’homme ou dans l’accent de l’orateur. Une meilleure occasion pour un débutant jeune et honnête ne pouvait, à coup sûr, se rencontrer ; mais les destins irrités n’eussent pu amener une situation plus désastreuse, plus pénible, plus inextricable pour Randal Leslie. Comment attaquer Dick Avenel, lui qui comptait sur Dick Avenel pour réussir dans son élection ? Comment exaspérer les jaunes après cette solennelle injonction de Dick : « Ne dites rien qui puisse empêcher les jaunes de voter pour vous plus tard. » Comment s’identifier avec la politique d’Egerton, lorsque sa propre politique lui prescrivait de se faire passer, aux yeux de ses adversaires, pour un jeune homme sensé et sans préjugés, qui marcherait droit et deviendrait jaune au premier jour ; Démosthènes lui-même renonçant à s’en tirer, eût prétexté un mal de gorge. Il faut donc excuser Randal s’il bégaya et s’embrouilla, s’il fut terrifié par les applaudissements après avoir dit quelques mots destinés à venger Egerton, et s’il parut craintif et embarrassé en murmurant un contre-compliment à Dick. Les bleus furent amèrement désappointés ; les jaunes sourirent et reprirent courage. Audley Egerton fronça le sourcil. Harley, qui était sur la plate-forme, un peu en arrière des candidats, se pencha vers Egerton et lui dit tout bas : « Vous auriez dû faire d’avance la leçon à votre protégé. Son affection pour vous l’émeut trop vivement. »

Audley, sans rien répondre, déchira une page de son portefeuille et y écrivit ces mots au crayon : « Dites que vous êtes embarrassé de répondre à M. Avenel parce que j’ai tout particulièrement exigé de vous de ne pas vous laisser emporter à une seule parole blessante envers un homme dont le père et le beau-frère m’ont donné cette majorité de deux voix à laquelle j’ai dû mon entrée au parlement, puis entrez sur-le-champ dans la politique générale. » Audley mit ce papier dans la main de Randal au moment où le malheureux jeune homme allait rester court et quitter l’estrade. Randal s’arrêta, reprit haleine et lut attentivement ces quelques mots au milieu des chuchotements et des rires de toute la salle ; sa présence d’esprit lui revint, il entrevit le moyen de se tirer d’affaire, se recueillit un moment, puis releva soudain la tête, et dans un langage devenu ferme et facile, développa si habilement le texte qui venait de lui être suggéré, qu’il prit l’auditoire par surprise, satisfit les bleus en donnant une preuve de la générosité d’Audley, et toucha les jaunes par sa déférence envers la famille de leurs deux candidats. Le jeune orateur aborda alors les sujets sur lesquels il s’était préparé avec soin, et prononça une harangue remplie d’art et d’adresse, dans laquelle il temporisait à la vérité, mais faisait preuve de ce qu’on eût appelé un tact et une prudence consommés chez un vieux diplomate qui n’eût voulu se commettre envers rien, ni envers personne. Son discours lui fit honneur, du moins comme témoignage d’une réserve et d’une modération bien rares chez un si jeune homme ; s’il était trop savant et trop raffiné pour un auditoire populaire, c’était néanmoins un excellent résumé de ce qui se pouvait dire de chaque côté de la question. Enfin Randal s’essuya le