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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/33

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lord L’Estrange, n’aurait plus besoin de Leslie pour le défendre des machinations de Peschiera.

Un lecteur peu accoutumé à plonger dans les profondeurs de l’esprit d’un intrigant ambitieux, penserait naturellement que Randal ne devait plus avoir d’intérêt à conserver la confiance de l’exilé, depuis qu’il lui avait été démontré que Violante, en l’épousant, cesserait probablement d’être une riche héritière. Mais peut-être, dira quelque jeune et candide lectrice, peut-être Randal était amoureux de cette belle et noble fille ? Randal, amoureux ! Non ! non ! il était agité de passions plus âpres que cette bienheureuse folie. Et s’il eût pu être amoureux, Violante n’était pas la femme propre à charmer ce cœur sombre et mystérieux ; sa noblesse instinctive, sa beauté imposante, quoique féminine, intimidaient Randal. Les hommes de sa sorte peuvent aimer une esclave, ils ne lèvent jamais les yeux vers une reine. Ils peuvent abaisser leurs regards, ils ne sauraient les élever si haut. Mais d’un côté, Randal ne voulait point, sur la simple assurance qui l’avait consterné, renoncer à l’espoir de s’assurer une fortune qui réaliserait ses rêves les plus brillants ; et de l’autre, s’il devait être contraint de renoncer à une telle alliance, bien qu’il ne méditât pas la basse perfidie d’aider Peschiera dans ses desseins, cependant s’il fallait absolument, pour assurer le mariage de Frank avec Béatrix, que le comte connût la retraite de Béatrix, alors… Il n’alla pas plus loin dans ses projets, ils lui semblaient à lui-même trop sombres ; mais il soupira péniblement, et ce soupir présageait combien faiblement lutteraient en lui l’honneur et la vertu aux prises avec l’avarice et l’ambition. Ainsi donc, de toutes façons, Riccabocca était l’une de ces cartes maîtresses qu’un joueur aussi expérimenté devait se garder de jeter en renonce. Elle pouvait servir de rentrée, et au pis-aller elle compterait toujours dans le jeu. L’intimité de l’Italien faisait donc partie de cette science qui, pour Randal, était synonyme de puissance.

Tandis que le jeune homme méditait ainsi sur la route de Norwood, Riccabocca et Jemima étaient en conférence secrète dans leur salon. Et si vous eussiez pu les voir, lecteur, vous eussiez été saisi d’étonnement et de curiosité, car quelque conversation extraordinaire avait certainement eu lieu entre eux. Riccabocca était visiblement agité d’émotions qui ne lui étaient point familières. Il avait les larmes aux yeux, en même temps qu’errait sur ses lèvres un sourire qui n’avait rien de cynique ni de sardonique. Sa femme avait la tête appuyée sur son épaule, la main dans la sienne, et, rien qu’à la voir, on pouvait deviner qu’il venait de lui adresser quelque compliment flatteur, d’une nature plus tendre et plus sincère que ceux qui caractérisaient d’ordinaire sa galanterie banale et hypocrite. Mais Giacomo entra, et Jemima, avec la sévère modestie d’une Anglaise, s’éloigna aussitôt de Riccabocca.

« Padrone, dit Giacomo qui, quelque étonnement que lui causât l’effusion conjugale qu’il avait surprise, était trop bien appris pour en rien témoigner ; Padrone, le jeune gentilhomme anglais, se dirige