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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/34

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vers la maison, et j’espère que vous n’oublierez pas de lui communiquer les nouvelles alarmantes que je vous ai données ce matin.

— Ah, oui ! dit Riccabocca, dont le visage s’attrista.

— Si la signorina était seulement mariée !

— C’est ma pensée continuelle, s’écria Riccabocca. Et tu crois réellement que ce jeune homme l’aime ?

— Sans cela, que viendrait-il faire ici. Excellence ? dit naïvement Giacomo.

— Tu as raison, pourquoi viendrait-il ? dit Riccabocca. Jemima, je ne puis supporter plus longtemps les terreurs que j’endure au sujet de cette pauvre enfant. Je m’ouvrirai franchement à Randal Leslie. Maintenant, d’ailleurs, ce qui aurait pu être une sérieuse considération en cas que je rentrasse en Italie, n’est plus un obstacle. »

Jemima sourit faiblement et murmura quelques mots à l’oreille de Riccabocca qui reprit :

« Absurde, anima mia. Je vous dis qu’il en sera ainsi ; je n’ai pas le moindre doute à cet égard. Quand je vous répète qu’il y a neuf chances contre quatre, selon les calculs les plus exacts. Je vais parler ouvertement à Randal ; il est trop jeune et trop timide pour parler lui-même.

— Sans doute, fit Giacomo ; comment l’oserait-il jamais, si amoureux qu’il soit ? »

Jemima secoua la tête.

« Oh ! n’ayez pas peur, dit Riccabocca, je le mettrai à l’épreuve. S’il a des vues intéressées, je les découvrirai aisément. Je me flatte de connaître passablement la nature humaine, cara mia. Et toi, Giacomo, donne-moi mon Machiavel ; c’est cela. Maintenant, laissez-moi, Jemima, il faut que je réfléchisse et que je me prépare. »

Lorsque Randal entra dans la maison, Giacomo l’introduisit dans le salon avec un sourire tout particulièrement gracieux. Riccabocca y était seul, assis devant la cheminée, la tête appuyée sur sa main ; le Machiavel in-folio était ouvert devant lui sur la table.

L’Italien accueillit Randal avec sa courtoisie habituelle, mais ses manières respiraient une certaine dignité sérieuse et pensive, d’autant plus imposante peut-être qu’il l’assumait plus rarement. Après quelques paroles insignifiantes, Randal informa Riccabocca de la curiosité qu’avait excitée au manoir sa subite disparition, et il s’enquit négligemment des instructions laissées par l’Italien au sujet des lettres qui lui seraient adressées au Casino.

« Des lettres ! dit Riccabocca avec simplicité, je n’en reçois jamais, ou du moins si rarement, que je n’ai pas songé à prendre des mesures au sujet d’un événement si peu probable. S’il arrive des lettres au Casino, elles y resteront, voilà tout.

— Alors je ne vois aucune possibilité d’indiscrétion, aucune chance que l’on découvre votre adresse.

— Ni moi non plus. »

Tranquille de ce côté, et sachant que Riccabocca n’avait pas coutume de lire les journaux, qui eussent pu lui apprendre l’arrivée de