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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/331

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front et se rassit, applaudi principalement par les avocats qui trouvaient présents, et fort satisfait de lui-même.

C’était maintenant à Léonard de parler. Nerveux comme le sont généralement les hommes de lettres, et naturellement timide, sa voix tremblait lorsqu’il commença ; mais sans le savoir, il écouta moins son intelligence que son cœur ardent et son noble caractère, et l’un lui dicta des paroles sympathiques, tandis que l’autre rendit peu à peu à ses manières toute leur dignité.

Il profita des quelques phrases qu’Egerton avait mises dans la bouche de Randal pour effacer l’impression fâcheuse produite par la grossière attaque de son oncle. Il regretta que l’honorable gentleman n’eût pas fait lui-même cette touchante et généreuse allusion aux services qu’il avait daigné se rappeler, car en ce cas, il en était sûr, M. Avenel ne se fût pas laissé entraîner à cette amertume que les luttes électorales engendrent d’autant plus facilement que les opinions politiques des candidats sont plus ardentes et plus sérieuses. Heureux était-il que parfois un sentiment plus doux, comme celui que M. Egerton avait engagé Leslie à exprimer précédât la discussion et rappelât aux antagonistes, ainsi que l’avait fait si expressément M. Leslie, que tout bouclier a deux côtés et qu’il est possible de soutenir qu’un côté était d’or, sans nier l’assertion du champion qui affirme que l’autre était d’argent. Puis, sans paraître se séparer de son oncle, le jeune orateur insinua une apologie de ses attaques si pleine de cœur et de bon goût qu’il fut vivement applaudi par les deux partis et que Dick lui-même n’osa prononcer le démenti qu’il avait sur les lèvres.

Mais si Léonard traita Egerton avec tant de respect, il ne se crut tenu à aucun ménagement vis-à-vis de Leslie. Avec la pénétration instinctive des esprits accoutumés à analyser les caractères et à étudier la nature humaine, il découvrit la duplicité cachée de l’artificieux discours de Randal. Il rougit, sa voix s’éleva, son imagination entra en jeu et son esprit étincela lorsque prenant à partie la mosaïque politique de son antagoniste et déchirant le voile spécieux des paroles, il en laissa voir la trame bigarrée de jaune et de bleu, et démontra qu’on ne pouvait découvrir dessous aucune conviction. « Le discours de M. Leslie, dit-il, me fait songer à un bac, et semble n’avoir d’autre but que de passer continuellement d’un côté à l’autre. » La comparaison était si juste qu’elle provoqua une bruyante hilarité ; Egerton lui-même ne put retenir un sourire. « Quant à moi, dit Léonard en terminant son impitoyable analyse, je suis encore novice dans les luttes des partis ; cependant, quand je ne serais pas l’adversaire personnel de M. Leslie, ne fussé-je qu’un électeur, appartenant comme je fais au peuple par ma condition et par mes travaux, je comprendrais que c’est là un représentant en qui le bien-être, l’honneur, l’élévation morale du peuple ne sauraient trouver un champion. »

Léonard s’assit au milieu des applaudissements, car son discours avait relevé les jaunes dans leur propre estime et abaissé Randal dans l’esprit des bleus. Randal le comprit, la rage au cœur, tout en