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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/332

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conservant sur les lèvres un sourire ironique. Il jeta un coup d’œil furtif vers Dick Avenel, dont, après tout et en dépit des bleus devait dépendre son élection. Dick répondit à ce coup d’œil par un dignement d’yeux significatif. Randal se tourna alors vers Egerton et lui dit à voix basse : « Combien j’ai regretté de n’avoir pas plus d’habitude de la parole ; j’aurais été si heureux de vous venger !

— Merci, Leslie. M. Fairfield a suppléé à toute omission quant à ce qui me concerne. Et vous ferez bien de lui pardonner ses attaques contre vous-même, parce qu’elles peuvent vous être utiles en vous indiquant quel est votre défaut comme orateur.

— Quel est-il ? dit Leslie.

— C’est de ne pas croire un seul mot de ce que vous dites, » répondit sèchement Egerton, et tournant le dos à Randal, il s’approcha de son parrain et lui dit à haute voix, avec un léger soupir : « M. Avenel a droit d’être fier de son neveu ; je regrette que ce jeune homme ne soit pas des nôtres ; il pourra devenir un orateur. »

La séance allait se terminer par une démonstration à mains levées, lorsqu’un homme de proportions athlétiques demanda à poser quelques questions aux candidats. Un frémissement courut dans l’assemblée, car cet électeur était le démagogue des jaunes, un homme qu’il était impossible d’intimider, un orateur aux poumons d’airain. « Je serai bref, » dit-il. Et alors, sous prétexte de questionner les candidats bleus, il se livra à une sortie furieuse contre le comte de Lansmere et son fils, accusant celui-ci d’intimidation et de corruption, citant à l’appui de son dire plusieurs électeurs de Fish-Lane et de Back-Slum qui avaient été détournés d’accomplir leurs promesses envers les jaunes par les vils artifices de l’aristocratie bleue, représentée par le noble lord qu’il défiait en ce moment de le contredire. L’orateur s’arrêta et Harley apparut aussitôt sur le devant de la plate-forme en signe qu’il acceptait le défi. Si la curiosité avait été excitée par Egerton, elle le fut bien davantage encore par Harley. Absent depuis plusieurs années, presque inconnu dans le pays où il devait un jour posséder d’immenses domaines, jouissant d’une vague réputation de talent et de capacité qu’il n’avait pas encore justifiée, rien d’étonnant à ce que jaunes et bleus tendissent l’oreille et retinssent leur souffle pour mieux l’entendre.

On naît, dit-on, poète, tandis qu’on devient orateur ; ceci n’est vrai qu’en partie. Quelques hommes sont devenus poètes, et d’autres sont nés orateurs. Il est probable qu’avant ce jour-là Harley n’avait jamais parlé en public, et cependant il n’avait pas parlé cinq minutes qu’il disposait des cœurs et des esprits de son auditoire aussi complètement qu’un musicien dispose des cordes de son instrument. Il avait reçu de la nature une voix capable d’une infinie variété de modulations, une physionomie mobile et expressive et il était vivement frappé, comme le sont tous les profonds humouristes du côté ridicule en même temps que du côté grave de chaque chose qui se présentait à sa vigoureuse intelligence.

À quelque cause que dût Harley de parler merveilleusement, il est