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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/333

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du moins certain qu’il parla merveilleusement. Il ridiculisa le démagogue et ses accusations avec un grand bonheur d’expressions et la gaieté la plus naturelle ; il décrivit les aventures de ce vertueux personnage à la recherche de la corruption dans les pures régions de Fish-Lane et de Back-Slum ; puis il groupa les témoignages sur lesquels le démagogue avait basé ses attaques d’une façon si caustique et si originale que l’auditoire tout entier éclata d’un rire homérique. Bientôt Harley fit passer ce même auditoire du rire aux larmes, en parlant des insinuations dont son père avait été l’objet de façon à toucher et à émouvoir tous les pères et tous les fils de l’assemblée.

Puis sa parole prit un autre tour, et une nouvelle émotion s’empara de l’assemblée. Harley s’identifia avec les électeurs de Lansmere. Il était fier, dit-il, d’appartenir à Lansmere, et tous les électeurs du bourg se sentirent en même temps fiers de lui. Il parla avec une bonté familière des quelques vieux amis de son enfance, se réjouissant de les retrouver vivants et prospères. Il eut pour chacun d’eux un mot affectueux, une parole du cœur.

« Cher vieux Lansmere ! » s’écria-t-il, et cette simple exclamation lui gagna tous les cœurs. Lorsque enfin il se tut comme pour se retirer, ce fut au milieu d’applaudissements frénétiques. Audley lui serra la main et lui dit tout bas : « Je suis le seul ici qui ne soit pas surpris, Harley. Maintenant que vous avez découvert vos propres talents, ne les laissez plus enfouis et inactifs ! » Harley retira sa main et ses yeux brillèrent. Il fit signe qu’il avait encore quelque chose à dire et les applaudissements se turent. « Mon honorable ami me reproche les années que j’ai perdues. Oui, c’est vrai, ma jeunesse a été inutile, n’importe pourquoi et comment. Mais la sienne ! Comment l’a-t-il employée ? Il l’a sacrifiée tout entière à la chose publique avec un dévouement tel, que ceux qui ne le connaissent pas comme moi, ont souvent pensé qu’il ne lui restait pas un seul sentiment pour les devoirs plus obscurs et les affections plus limitées par lesquels les hommes de talents ordinaires et les esprits plus humbles resserrent les liens de cet ordre social que les hommes d’État tels que lui sont appelés à protéger et à défendre. Mais pour ma part, je crois qu’il n’y a pas d’être plus dangereux que l’austère hypocrite qui, parce qu’il a dressé sa froide nature à servir mécaniquement une abstraction quelconque (qu’il l’appelle la « constitution ou la chose publique »), se croit dispensé des devoirs de la vie privée, de la bonté qui gagne l’affection, de la sincérité qui attire la confiance. Que d’autres donc louent en mon honorable ami le politique incorruptible, permettez-moi de voir surtout en lui l’homme loyal et sincère dont on pourrait dire comme d’un saint prêtre : « qu’il ne ferait point un mensonge même pour gagner le ciel, » et dont l’honneur est si délicat qu’il regarderait comme un mensonge de taire la vérité. » Harley fit ensuite une brillante peinture du type idéal de chevaleresque loyauté, que représentent pour un Anglais ces mots « un parfait gentleman, » appliquant chacune de ses phrases à son illustre ami avec une chaleur et une énergie oui semblaient jaillir de son cœur ; pour