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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/347

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Pauvre lord L’Estrange. Vous l’avez donc laissé irrité et malheureux !

— Je l’ai laissé méditant le péché, ayant peur de prier Dieu ; je l’ai laissé occupé d’un projet, je ne sais lequel, mais qui enveloppe d’autres personnes que Léonard dans sa vengeance. Je l’ai laissé tel, que si son cœur est réellement sensible et généreux, il ne s’éveillera de sa colère que pour être la victime de longs et inutiles remords. Si votre père a sur lui quelque influence, redites-lui ce que je viens de vous dire, et qu’il cherche à sauver à son tour l’homme qui l’a sauvé autrefois. Je ne puis rester ici plus longtemps, il faut que j’aille retrouver Léonard. »

Et M. Dale s’éloigna rapidement. Violante demeura où il l’avait laissée, immobile et stupéfaite. Harley méditant le péché, Harley s’éveiller la victime du remords ! Harley qu’il fallait sauver comme il avait sauvé son père ! Sa poitrine se soulevait, elle rougissait et pâlissait tour à tour, ses yeux étaient levés vers le ciel, ses lèvres murmuraient une prière. Elle s’avança doucement le long du corridor, elle vit la lumière qui éclairait la chambre d’Harley briller un instant, puis disparaître soudain lorsque celui-ci referma la porte avec violence.

Un acte extérieur est souvent l’expression de ce qui se passe au dedans de nous. Harley eût voulu, en même temps qu’il fermait cette porte, fermer son cœur à toute pensée de pardon et d’attendrissement. Il était retourné à son foyer, et il s’y tenait debout résolu et endurci. L’homme, qui avait aimé avec une si opiniâtre fidélité pendant tant d’années, ne pouvait si vite se séparer de la haine. Une passion une fois née dans son cœur, s’y enracinait avec tant de force ! Mais malheur, malheur à toi, Harley L’Estrange, si demain à la même heure tu te retrouves devant ton foyer ayant accompli tes desseins, et songeant que dans l’accomplissement de ton aveugle volonté tu as opposé le mensonge au mensonge et l’hypocrisie à la ruse ! En vain ces desseins te semblent aujourd’hui si sages, si justes, qu’ils t’apparaissent comme la meilleure vengeance que l’esprit pût concevoir et la vie civilisée permettre ; tu ne laveras jamais le souvenir de la tache qui aura souillé ton honneur ? Toi qui professes encore l’amitié et qui masques la haine sous de perfides sourires ! L’injure fût-elle aussi grande que tu l’estimes, fût-elle dix fois plus grande, le sentiment de ta bassesse te fera rougir, toi soldat et gentleman, jusque dans la solitude la plus profonde ! Toi qui maintenant juges les autres indignes d’une confiante affection, tu te sentiras alors indigne de la leur. Ta retraite sera sans repos ; la dignité t’abandonnera. Ton œil si fier s’abaissera sous le regard d’autrui. Celui qui a fait une bassesse ne retrouve jamais pleinement l’honneur. Malheur, trois fois malheur à toi si tu apprends trop tard que tu t’es exagéré l’injure ; qu’il y a des excuses là où tu n’en voyais point ; que ton ami peut avoir erré ; mais que son erreur est légère comparée à ce que tu imagines n’être qu’une juste rétribution !

Ainsi cependant dans tout l’orgueil de la puissance, exemple ter-