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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/349

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mon enfance j’ai aimé plus qu’un frère. Dans la ferveur de mon adolescence une femme éblouit mon imagination et captiva mon cœur. Elle était belle comme on ne l’est que dans les rêves. Je l’aimai ; je me crus aimé d’elle. J’ouvris mon cœur à cet ami, à ce plus que frère ; il se chargea de m’aider, de me faire agréer. C’est sous ce prétexte qu’il vit pour la première fois l’infortunée jeune fille ; il la vit, la séduisit, causa sa mort. Il me laissa ignorer que l’amour que j’avais cru posséder, avait été prodigué à un autre ; il me laissa croire que par un généreux sacrifice elle avait fui devant ma passion, car elle était pauvre et d’humble naissance ; que ce sacrifice (oh ! vain idiot que j’étais !) avait été trop rude pour ce jeune cœur qui s’était brisé dans la lutte ; il laissa ma jeunesse s’user dans de vains regrets, dans d’inutiles remords ; il serra ma main en murmurant d’ironiques consolations ; il sourit à mes larmes d’agonie, sans lui-même en verser une seule sur sa victime ! Et soudain, il y a quelques jours, j’ai appris tout ceci. Et le père de Léonard Fairfield est l’homme qui a ainsi empoisonné pour moi toutes les sources de joie en ce monde. Vous pleurez ! — Ô Violante ! — Non-seulement il a flétri le passé, je pourrais encore le lui pardonner, mais il a tué l’avenir du même coup, car au moment où cette trahison me fut révélée, je commençais à secouer la torpeur de ma longue douleur, à envisager avec fermeté les devoirs que j’avais négligés, à sentir que tout n’était pas autour de moi stérile et désolé. Et alors, oh alors ! je comprenais que tout amour n’était pas enseveli dans une tombe. Je sentais que si les destins l’eussent voulu, vous auriez pu être pour moi tout ce que ma jeunesse n’avait fait qu’entrevoir à travers de brillantes illusions. À la vérité, j’étais lié à Hélène et l’honneur devait m’interdire toute espérance. Mais cependant sentir que mon cœur n’était pas un monceau de cendres, que je pouvais aimer encore, que ce glorieux privilège de notre nature m’appartenait toujours, c’était là une joie céleste. Mais cette odieuse perfidie me fut révélée et toute vérité me sembla effacée de l’univers. Je suis dégagé envers Hélène, oui dégagé… parce que ni le rang, ni la richesse, ni les bienfaits, ni l’affection n’ont pu m’attacher un seul cœur. Je suis libre, mais entre moi et votre fraîche nature, s’élève le soupçon comme un upas fatal. L’espérance qui voudrait traverser cette atmosphère empoisonnée et s’élancer vers vous, retombe morte sous son funeste ombrage. Moi aimer ! moi, moi, à qui le passé a si bien appris l’impossibilité d’être aimé en retour. Non, quand ces douces lèvres répondraient oui, à la brûlante prière qui, si j’eusse été libre il y a quelques semaines, aurait jailli des profondeurs de mon cœur, je croirais seulement que vous vous abusez vous-même ; je ne verrais là que le caprice passager d’une jeune fille, rien de plus ! fussiez-vous même ma femme, Violante, j’avilirais votre glorieuse nature par cette malédiction du soupçon. À chaque expression de votre tendresse, mon cœur se dirait : « Combien ceci durera-t-il ? Quand viendra la déception ? »

« Votre grâce, votre beauté ne m’apporteraient que des terreurs ja-