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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/350

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louses ; j’irais éternellement du présent à l’avenir, me disant : « Mes cheveux blanchiront déjà, qu’elle sera encore au zénith de ses charmes. » Voilà pourquoi je hais et je maudis mon ennemi ! Voilà pourquoi j’ai soif de vengeance. Ah ! je le comprends maintenant. Je savais bien que j’étais poussé par quelque chose de plus impérieux que le fantôme du passé. En vous contemplant, je comprends que c’était le vague sentiment d’une perte immense et irréparable. Ce n’était pas seulement Nora morte, c’était Violante vivante. Ne me regardez pas avec ces yeux affligés ; ils ne peuvent changer mes desseins ; ils ne peuvent rendre la confiance à mon âme malade, ils ne peuvent faire pénétrer un rayon de soleil au milieu de cette sombre nuit. Retirez-vous, laissez-moi à la seule joie qui ne soit suivie d’aucun désappointement ; au seul sentiment qui m’unisse à la société ; laissez-moi à ma vengeance.

— À votre vengeance ! s’écria Violante, en posant la main sur le bras d’Harley. Et, pour cette vengeance, vous voulez risquer votre vie ?

— Ma vie ! enfant que vous êtes ! Ce n’est point ici une lutte de vie contre vie. Si j’exposais ainsi mes douleurs aux railleries du monde, je ne réussirais qu’à donner à mon ennemi le triomphe de plaindre ma fureur, de refuser le combat, ou bien de l’accepter, et quand j’aurais trouvé un second, de tirer en l’air. Et tous de s’écrier : « Généreux Egerton ! l’honneur personnifié ! »

— Egerton ! M. Egerton ! sans doute ce n’est pas lui qui est votre ennemi ? Ce n’est pas de lui que vous voulez vous venger ? Vous qui passez chacune de vos heures au service de sa cause. — Vous en qui il a une confiance si entière ! Vous qui, hier encore, vous appuyiez sur son épaule en lui souriant si affectueusement ?

— Hypocrisie pour hypocrisie, piège pour piège, c’est là ma vengeance.

— Milord Harley ! Ceci est-il digne de vous ?

— Je ne parais servir son ambition que pour mieux le précipiter dans la boue. Je l’ai tiré des griffes d’un usurier, en sorte que je puis à mon choix le réduire à l’aumône ou à la prison.

— Chut ! mon ami, je vous en supplie !

— J’ai fait du jeune homme qu’il a élevé et instruit à trahir comme lui (l’objet du choix éclairé de votre père, Randal Leslie), mon instrument pour lui apprendre quelles blessures fait l’ingratitude. Son fils même vengera sa mère, il sera conduit à son père avec Randal Leslie, tous deux vainqueurs dans la lutte qui prive le père et le bienfaiteur de tout ce qui rend la vie chère à l’ambition égoïste. Et si dans le cœur d’Audley Egerton demeure quelque souvenir de mon amour pour lui et pour la vérité, ce ne sera pas sa moindre punition de penser que sa propre perfidie a ainsi changé l’homme qu’il a connu si fièrement dédaigneux du mensonge.

— Si tout ceci n’est pas un rêve affreux, murmura Violante terrifiée, ce n’est pas seulement à votre ennemi que vous arracherez tout ce qui peut faire aimer la vie. Si vous agissez ainsi, que me reste-t-il dans l’avenir ?