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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/352

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jeunesse ? Violante, c’est en vain que je veux lutter contre moi-même — douter, raisonner, alléguer une prudence craintive, je vous aime ! Je crois de nouveau à la vertu et à la vérité ! Je mets mon sort et mon honneur sous votre garde. »

Abandonnant une de ses mains à l’étreinte passionnée d’Harley, resté à genoux devant elle, Violante leva l’autre vers le ciel : « Ah ! dit-elle, d’une voix basse et tremblante. Ah ! si Dieu m’accorde le glorieux privilège d’être alliée à votre sort, d’être chargée de votre bonheur, je ne connaîtrai jamais la crainte de vos soupçons. Ni le temps, ni le changement, ni le chagrin, non pas même la perte de votre affection ne pourraient me faire oublier jamais que vous m’auriez une fois confié ce noble cœur. Mais… » et ici sa voix s’éleva et se raffermit. « Mais, ô toi, qui es toujours présent, écoute et reçois mon vœu solennel ! S’il me refuse le sacrifice d’une vengeance qui l’avilirait, cette vengeance s’élèvera à jamais comme une barrière entre lui et moi ; puisse alors ma vie tout entière vouée à ton service, expier l’heure à laquelle il aura menti à la noble nature qu’il a reçue de toi. Harley, laissez-moi ! J’ai dit, et aussi ferme que vous, je vous laisse le choix.

— Vous me jugez sévèrement, dit Harley, se relevant avec une sombre colère, mais du moins je n’aurai pas la bassesse de vendre ce que je regarde comme la justice, dussé-je en m’y refusant perdre mon dernier espoir de bonheur.

— La bassesse ! Ô malheureux et bien-aimé Harley ! s’écria Violante avec un tel élan de douloureuse tendresse qu’il tressaillit comme s’il eût entendu le cri d’adieu de son ange gardien. La bassesse ! Mais c’est cela même dont je veux vous sauver ! Vous ne pouvez juger, vous ne pouvez voir. Vous êtes aveugle, vous êtes dans la nuit. Chrétien égaré que vous êtes, n’est-ce pas se montrer au-dessous même des ténèbres païennes que de feindre l’amitié pour arriver à mieux trahir ; de punir le mensonge en mentant vous-même ; d’accepter la confiance de celui dont vous êtes l’ennemi, et de descendre ainsi plus bas que lui ? Et, ce qui est pire que tout le reste, de songer à faire d’un fils — du fils même de celle que vous avez aimée, l’instrument de votre vengeance contre son père. Non ! ce n’est pas vous qui avez conçu un pareil dessein, c’est le démon lui-même !

— Assez ! s’écria Harley, se réfugiant dans la colère pour échapper au cri de sa conscience. Assez ! Vous insultez l’homme que vous prétendez honorer.

— J’honorais le type de la bonté et de la valeur. J’honorais celui qui me semblait réaliser les grandes et généreuses images créées par le génie des poètes. Si vous détruisez cet idéal, vous détruisez l’Harley que j’honorais. Il est à jamais mort pour moi. Je le pleurerai comme sa veuve, fidèle à sa mémoire et portant le deuil de ce qu’il a été, de l’ami que j’ai perdu. » Les sanglots étouffèrent la voix de Violante, mais au moment où Harley, encore une fois ébranlé se rapprochait d’elle, elle s’échappa d’un mouvement plus rapide que