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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/371

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qu’ils feraient triste figure devant les jaunes si leur grand homme était évincé par celui-là même qu’on n’avait présenté que pour le seconder, un jeune homme complètement inconnu. La vanité et le patriotisme se réunissaient donc pour provoquer ce murmure. « Vous voyez bien, jeune homme, s’écria un riche boucher, qu’il était sous-entendu que M. Egerton devait être en sûreté ; vous n’avez aucun titre à nos yeux que celui de combattre comme son second, et nous sommes tous bien étonnés de ne pas vous entendre dire toute de suite : « Sauvez Egerton ; c’est là l’important. » Excusez la liberté, monsieur. Nous n’avons pas le temps de tourner autour.

— Lord L’Estrange, dit Randal, sans répondre au boucher, comme le premier ici par le rang et par l’influence, me conseillez-vous de sacrifier mon élection et ce qui paraît être le désir de la majorité des électeurs, à l’espoir douteux de faire nommer M. Egerton en ma place ?

— Je n’ai pas de conseil à vous donner, monsieur Leslie. C’est là une question de sentiment et d’honneur qu’un gentleman doit décider lui-même.

— Aucune convention de ce genre a-t-elle été sous-entendue entre Votre Seigneurie et moi, lorsque vous m’avez accordé votre appui et que vous avez en personne sollicité des votes en ma faveur ?

— Certainement, non — chut, messieurs ! Je n’ai en effet parlé d’aucune convention de cette nature.

— Ni M. Egerton non plus. Quel qu’ait pu être le sous-entendu dont veut parler le respectable électeur qui tout à l’heure s’est adressé à moi, je n’y ai pris aucune part. Je suis persuadé que M. Egerton serait le dernier à vouloir être redevable de son élection à une supercherie envers les électeurs, et à ce que tout le monde considérerait comme une grande injustice envers moi qui ai eu toute la fatigue des sollicitations. »

Un murmure désapprobateur s’éleva de nouveau ; mais Randal prit un air si résolu qu’il fit taire les mécontentements, et contraignit le comité à l’écouter.

« Néanmoins, reprit-il, je me désisterais sur-le-champ, si je n’avais le ferme espoir de convaincre tous ceux qui sont ici présents et qui semblent me condamner, que j’agis précisément selon les secrets désirs de M. Egerton. Ce gentleman, vous le savez, n’a jamais paru au milieu de vous, n’a jamais sollicité les électeurs en personne, il ne s’est donné aucune peine, si ce n’est celle de prononcer un discours évidemment destiné à présenter au pays tout entier la défense générale de ses actes politiques. Que signifie tout cela ? Simplement qu’il ne s’est présenté que pour la forme, dans le but de complaire à son parti, contre son propre désir. »

Les membres du comité s’entre-regardèrent étonnés et indécis. Randal vit qu’il avait gagné du terrain, il en profita avec un tact et une habileté qui montraient qu’en dépit de ses défauts oratoires, il y avait en lui l’étoffe d’un habile avocat. « Je serai franc avec vous, messieurs. Mon caractère et le désir que j’ai de conserver