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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/377

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ni un sou de moins. (Bruyantes acclamations parmi les cent cinquante, et cris de bravo ! c’est noble.) Je n’aime pas la politique de M. Egerton, mais je ne suis pas seulement un partisan politique, je suis un homme ! Les arguments des membres respectables de notre comité, honnêtes commerçants, tendres époux et frères dévoués, ont pour moi un grand poids. Je suis moi-même époux et père. Si la lutte se prolonge inutilement avec toute l’irritation qu’elle engendre, qui en souffrira ? l’ouvrier et le commerçant. Quels en seront les résultats ? partialité, perte de pratiques, exigences tyranniques des loyers, congés donnés, la misère ! en un mot. »

Cris de écoutez ! écoutez ! et de donnez-nous le scrutin secret !

« Le scrutin secret ! Ce serait de tout mon cœur si je l’avais ! Et si nous l’avions, je voudrais bien voir qu’un seul homme osât voter pour les bleus ! (Bruyants applaudissements des jaunes.) Mais enfin, comme nous ne l’avons pas, il nous faut songer à nos familles. Et j’ajoute que dans le cas où M. Egerton reviendrait au pouvoir, comme son collègue, je ferai, continua Dick d’un ton solennel, tous mes efforts pour le faire marcher droit ; et vos propres lumières (car le maître d’école fait son œuvre) lui montreront qu’aucun ministre ne peut braver impunément l’opinion publique, ni se quereller avec son pain et son beurre. (Applaudissements.) À une époque comme la nôtre, les membres de l’aristocratie doivent chercher à se populariser, et un représentant au pouvoir dispose de beaucoup de places dans le timbre, l’accise, les douanes, les postes et les autres départements qui dépendent de l’État dans ce vieux pays pour… dans ce magnifique empire, veux-je dire, au moyen desquelles il peut faire du bien à ses électeurs et concilier les prérogatives de l’aristocratie avec les droits du peuple. Écoutez ! Écoutez ! C’est pourquoi, sacrifiant les intérêts de parti (puisqu’il est, paraît-il, impossible de les faire triompher) sur l’autel de la bienveillance générale, je ne puis m’opposer au désistement de mon neveu, ni fermer les yeux aux avantages qui devront résulter pour un bourg si important, et pour toute la nation, de la nomination de mon honorable beau-f… j’entends du très-honorable candidat bleu. Non que je prétende dicter votre choix, ni même exprimer un seul désir d’un côté ou de l’autre. Seulement, comme père de famille, je vous dis : « Électeurs, ayant servi les intérêts du pays par ma nomination jaune, vous avez noblement acquis le droit de songer aux vôtres et de vous souvenir des enfants que vous avez laissés à la maison. »

Dick mit la main sur son cœur, s’inclina gracieusement et quitta le balcon au milieu d’unanimes et frénétiques applaudissements.

Trois minutes après, Dick avait repris place sous la tente, en qualité de candidat. Les électeurs jaunes arrivèrent en foule animés et résolus. Emmanuel Trout apparut et d’une voix ferme proclama qu’il votait pour Avenel et Egerton. Les cent cinquante suivirent tous son exemple. À chaque question, pour qui votez-vous ? la réponse : Avenel et Egerton, résonnait comme un glas funèbre aux oreilles de Leslie avec une monotonie infernale. Il se tenait debout, les bras