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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/390

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venus que lorsqu’un homme échoue complètement, il ne reste qu’à l’abandonner. »

Randal ne répondit rien, et le baron vit son ombre se projeter sur le vaste escalier, de marche en marche, jusqu’à ce qu’il disparût tout à fait.

« Il aura toujours servi à quelque chose, murmura Lévy, la découverte de sa trahison sera amère pour Egerton, qui n’a d’autre parent que lui. C’est toujours une petite vengeance. »

Le comte toucha le bras de l’usurier.

« N’ai-je pas bien joué mon rôle ? dit-il.

— Votre rôle ? J’avoue, mon cher comte, que je ne le comprends pas bien.

— Vous êtes passablement obtus alors. Je venais de débarquer en France lorsque j’y reçus une lettre de lord L’Estrange. Elle était conçue dans les termes d’une sorte d’invitation que je ne refuse jamais. J’y répondis ; je vins ici ; je descendis à l’auberge, milord vint m’y chercher hier soir. Je commençai du ton que vous pouvez supposer. Mais il est habile et adroit, ce lord L’Estrange. Il me montra d’abord une lettre du prince Von… qui l’informait du rappel d’Alphonse et de mon bannissement. Il m’offrit ensuite, toujours avec une douceur admirable, le choix entre la ruine et la mendicité, ou l’occasion d’acquérir des droits honorables à la gratitude d’Alphonse. Et quant à ce petit monsieur, croyez-vous que je fusse d’humeur à le voir tranquillement, lui, mon instrument, jouir de tout ce que j’avais moi-même perdu ? En outre, si ce jeune Harpagon devenait le gendre du duc, celui-ci pouvait-il avoir un conseiller plus fatal à mes intérêts ? Bref, je vis d’un coup d’œil le meilleur parti à prendre. Je n’hésitai pas. La difficulté, c’était de me tirer de là comme il convenait à un homme de sang et de feu. Si j’y ai réussi, félicitez-moi donc ; Alphonse m’a serré la main et maintenant je me repose sur lui du soin de ma fortune et de ma réputation.

— Si vous retournez à Londres, dit Lévy, ma voiture doit être à la porte, et je serai enchanté de vous offrir une place et de causer avec vous de vos projets d’avenir. Mais, peste ! mon cher, savez-vous que vous êtes tombé de haut ; tout autre se fût brisé les os.

— La force est toujours légère, dit le comte en souriant, et à bien parler, elle ne tombe pas, elle saute, et elle rebondit. »

Lévy se reprocha d’avoir surfait Randal, et de n’avoir pas rendu justice au comte. Pendant cette conférence, Harley était à côté de Violante.

« Je vous ai tenu ma promesse, dit-il avec une sorte de tendre humilité. Êtes-vous toujours aussi sévère pour moi ?

— Ah ! répondit Violante, regardant avec orgueil ce noble visage, j’ai appris par M. Dale que vous avez remporté sur vous-même une victoire qui me rend honteuse d’avoir pu douter un instant de ce que vous inspirerait votre cœur, lorsque serait apaisé un mouvement de trop juste colère.

— Non, Violante, ne m’absolvez pas encore, soyez témoin de ma