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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/392

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par la fortune ni par les talents. Voyez vous-même la différence entre Egerton et moi ; quoiqu’il ait dissipé la fortune qu’il avait obtenue sans effort, tandis que j’ai tiré des folies des autres d’amples revenus, le dissipateur dans sa pénurie jouit d’un respect et d’une position que des millions ne sauraient m’acquérir. Vous direz à cela que je suis usurier tandis qu’il est homme d’État. Mais pouvez-vous savoir ce que j’aurais été, si je n’étais né le fils naturel d’un duc ? ce que j’aurais été si Nora Avenel fût devenue ma femme ? La tache de ma naissance, la déception de ma jeunesse, la pensée que celui qui s’élevait d’année en année dans l’estime publique, qui se croyait le droit de me rejeter comme hôte à sa table, était lâche et perfide envers l’ami de sa jeunesse ; tout cela me fit regarder le monde avec mépris ; mais, tout en méprisant Audley Egerton, je l’enviais pourtant et je le haïssais. Vous qu’il a offensé, vous tendez la main comme auparavant au grand homme d’État, vous estimeriez le contact de la mienne une souillure. Milord, vous pouvez pardonner à l’homme que vous aimez et que vous plaignez ; je ne saurais pardonner à celui que je méprise et que j’envie. Excusez cette longue réponse, je quitte maintenant votre maison. »


CHAPITRE XXXIII.

Le Baron fit quelques pas, puis, se retournant, il ajouta avec une malignité sarcastique :

« Mais vous direz à M. Egerton comment j’ai contribué à démasquer son fils adoptif. Je pensais à l’homme isolé et sans enfants, tandis que Votre Seigneurie imaginait que je cédais à la crainte de ses menaces. Ha ! ha ! il sentira cela ! »

Et le baron, grinçant des dents, s’élança dans sa voiture et en baissa les stores. Les postillons firent claquer leur fouet et les roues tournèrent rapidement.

« Qui peut dire, pensa Harley, sous quelle forme le châtiment atteint les coupables ? Voici un homme châtié jusqu’au milieu de sa prospérité, rongé qu’il est par le désir de ce qu’aucune fortune ne peut donner. »

Et passant la main sur son front comme pour en chasser cette triste pensée, Harley entra dans le salon, mit une main sur l’épaule de Léonard, et regardant avec joie les yeux doux, francs et brillants du jeune poète : « Léonard, dit-il doucement, votre heure est enfin venue. »

Audley était seul dans son appartement. Un lourd sommeil s’était emparé de lui le matin, après qu’Harley et Randal avaient quitté le château, et ce sommeil s’était prolongé fort avant dans la journée.