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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/393

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Tandis que la ville de Lansmere tout entière s’enflammait pour ou contre sa cause, tandis que tant de passions tumultueuses se déchaînaient dans la lutte qui devait rouvrir ou clore à l’ambition de l’homme d’État les portes de Janus de la politique, l’objet de tant de craintes et de tant d’espérances, de combinaisons et de contre-combinaisons dormait tranquille comme un enfant dans son berceau. Il ne s’éveilla qu’à l’heure où Harley lui annonçait par une dépêche le succès de son élection, en ajoutant : « Avant la fin de la journée vous embrasserez votre fils. Ne descendez pas pour nous recevoir quand nous rentrerons. Demeurez en repos, nous irons vous trouver. »

Bien qu’ignorant la gravité et la nature de la maladie d’Egerton, Harley avait voulu lui épargner d’assister à l’humiliation de Randal.

Après avoir lu cette lettre, Audley se leva ; à l’idée de voir son fils, le fils de Nora, il oubliait jusqu’au souvenir de sa maladie.

Les battements de son pauvre cœur fatigué et usé étaient rapides à la vérité, parfois même saccadés et accompagnés de spasmes ; il n’en tenait aucun compte. La victoire qui le rendait à la seule vie dont il se fût soucié jusque-là était aussi complètement oubliée. La nature réclamait ses droits, elle les réclamait au mépris de la mort et de la renommée.

Egerton était assis, habillé avec sa précision habituelle ; son habit noir boutonné jusqu’au haut ; il était trop accoutumé à l’empire de soi-même pour que sa physionomie trahît une grande émotion, bien que la rougeur parût et disparût sur ses joues bronzées, que son œil suivit l’aiguille de la pendule, que son oreille guettât avidement les bruits du corridor. À la fin il entendit des pas, les pas de plusieurs personnes. Il fut debout au même instant et devant le foyer. Ce foyer allait-il donc cesser d’être solitaire ? Harley entra d’abord. Les yeux d’Egerton se fixèrent un instant sur lui, puis cherchèrent au-delà. Léonard venait ensuite, Léonard Fairfield, son adversaire de la veille ! Il commença à soupçonner, à conjecturer, à retrouver le tendre regard de la mère dans la mâle figure du fils. Involontairement il ouvrit les bras ; mais Léonard demeurant immobile, il les laissa retomber avec un soupir et crut s’être trompé.

« Ami, dit Harley, je vous amène un fils éprouvé par l’adversité, et qui a conquis à lui seul une glorieuse renommée. Léonard, l’homme à qui je vous ai prié de sacrifier votre ambition, celui que vous avez si noblement loué, dont vous avez sauvé la carrière, et dont vous consolerez la vie par votre amour filial, cet homme c’est l’époux de Nora Avenel ! Agenouillez-vous devant votre père ! Audley, embrassez votre fils !

— Là ! là ! s’écria Egerton, tandis que Léonard pliait le genou, là sur mon cœur ! Regarde-moi avec ces yeux ! ce sont ceux de ta mère ! Et sa tête s’appuya sur l’épaule de son fils.

— Mais ce n’est pas tout, dit Harley prenant Hélène par la main et la plaçant à côté de Léonard : il faut encore ouvrir votre cœur à ma douce pupille, à ma fille. Qu’est une maison sans le sourire d’une