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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/394

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femme ? Ils s’aiment depuis leur enfance. Audley, c’est à votre main d’unir les leurs, à vos lèvres de les bénir ! »

Léonard tressaillit. « Oh ! monsieur ! Oh ! mon père ! ne permettez pas ce généreux sacrifice, car lui, lui qui m’a sauvé pour cette joie suprême, lui aussi il l’aime.

— Non, Léonard, dit Harley en souriant, je ne suis pas si oublieux de moi-même. Audley, celui que vous vous êtes si vainement efforcé de rattacher à la vie, échangeant enfin de tristes rêves pour d’heureux devoirs, vous présente lui aussi sa fiancée. Aimez-la pour moi, pour vous-même. C’est elle et non pas moi qui préside à cette sainte réunion. Sans elle j’eusse été aveugle, vindicatif, et… la petite main de Violante se posa sur ses lèvres.

— C’est ainsi, dit le curé avec une douce solennité, que l’homme trouve dans les préceptes du Sauveur : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ! » « Aimez-vous les uns les autres ! » les fils conducteurs du labyrinthe de la vie humaine, tandis que les desseins de la fraude et de la haine se brisent en éclats et nous laissent perdus dans les ténèbres. »

Egerton leva la tête, comme pour répondre ; tous furent frappés, terrifiés du soudain changement de sa physionomie. Il y avait comme un voile sur ses yeux, comme une ombre sur son visage ; les mots manquaient à ses lèvres ; il s’affaissa sur le siège qui était près de lui. Sa main gauche tomba sur les journaux amoncelés sur la table et ses doigts les agitèrent comme ceux d’un malade dans son lit agitent la couverture qu’il échangera bientôt pour un linceul. Mais sa main droite semblait chercher dans les ténèbres le fils qu’il venait de retrouver, et l’ayant touché elle l’attira faiblement vers lui. Hélas ! cette bienheureuse vie de famille, si souvent regrettée, si longtemps désirée, lui échappait au moment même où elle venait de lui apparaître. À peine entrevue, elle s’évanouit. Soudain les deux mains se roidirent ; la tête tomba en arrière. La joie avait brisé les derniers ligaments usés dans de secrètes douleurs.

Au loin les cloches sonnaient joyeusement son triomphe ; la foule criait hourra ; le faible cri de John Avenel se mêlait peut-être à ces acclamations, tandis que les triomphateurs ivres passaient devant sa maison et réveillaient les corbeaux qui volaient en croassant autour du vieux saule. Le mugissement que font entendre les vagues à la surface de la vie, tandis que les profondeurs se meuvent silencieusement, était porté par le vent d’hiver dans la chambre de l’homme d’État, et venait mourir sur l’herbe autour de la tombe de Nora. Mais dans la chambre, comme dans la tombe, reposait quelqu’un pour qui le mugissement était muet, et les profondeurs immobiles. Au milieu des espérances de famille, d’union, de paix et de renommée, la mort était silencieusement entrée dans le cercle et assise, calme et immobile, elle conservait l’apparence de la vie ; des cœurs aimants balbutiaient autour d’elle, de nobles espérances montaient vers le ciel ; l’amour était agenouillé à ses pieds et la religion, montrant du doigt le ciel, était debout à ses côtés.