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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/395

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CHAPITRE FINAL.

Randal Leslie arriva chez son père à une heure avancée de l’après-midi, le lendemain du jour où il avait quitté le château de Lansmere. Il avait fait à pied tout le chemin malgré le froid et la solitude d’une nuit d’hiver ; il ne sentit la fatigue que lorsque la triste demeure se fut refermée sur lui ; il se laissa alors tomber sur le plancher, sentant qu’il n’était plus qu’une ruine parmi des ruines. Il ne dit rien à ses parents de ce qui venait de se passer. L’infortuné n’avait personne en qui il pût se confier ; personne capable de lui rappeler ces vérités qui font du repentir la plus efficace des consolations. Après quelques semaines passées dans un sombre silence, il retourna à Londres. Les journaux, en annonçant la mort d’Egerton et rapportant les particularités de l’élection qui l’avait précédée, avaient publié et stigmatisé la conduite ingrate et égoïste du protégé de l’ex-ministre. Le monde politique avait alors prononcé sur Randal une de ces sentences sans appel qui mettent une barrière insurmontable à la carrière d’un ambitieux. Randal le comprit, et n’essaya pas de rappeler à Avenel la promesse que lui avait faite celui-ci de l’aider dans une autre élection pour Lansmere. La fortune indulgente lui ouvrit encore une voie d’indépendance. Les cinq mille livres que lui avait destinées Audley lui furent payées par l’homme d’affaires de lord L’Estrange, mais cette somme lui parut si peu de chose après la perte de ses magnifiques espérances, qu’il n’envisagea ce legs inespéré que comme une excuse pour ne pas embrasser de profession ; il se rendit sur le continent, et lui, jusque-là si indifférent aux divertissements de la jeunesse, se plongea, pour échapper à ses souvenirs, dans la société de joueurs mal famés et de roués de second ordre ; puis, tombant de plus en plus bas à mesure que diminuaient ses ressources, il finit par disparaître de cette sphère dans laquelle les libertins eux-mêmes conservent les habitudes et tiennent à garder le nom de gentlemen. Son père mourut ; il hérita de Rood-Hall, mais il lui fallut en distraire de quoi payer les portions de son frère et de sa sœur, ainsi que le douaire de sa mère, et ce qui restait n’occupait qu’une place bien minime dans les comptes de l’exécuteur testamentaire. Randal avait depuis longtemps abandonné la pensée de relever la maison et la fortune de ses pères ; il envoya de Saint-Pétersbourg l’ordre de vendre le stérile domaine. Aucun grand propriétaire ne se présentant comme acquéreur, on divisa les terres en lots qu’achetèrent de petits fermiers ou des commerçants retirés. Un entrepreneur acquit le manoir qu’il démolit pour faire usage des matériaux, en sorte que manoir, terres et nom, tout fut rayé de la carte et de l’histoire du comté.