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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/398

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Peu de jours après, le protégé d’Audley Egerton entra en fonctions comme sous-maître dans l’une de ces pensions nombreuses et à bon marché, où quelques fils de bourgeois et d’ecclésiastiques se préparant aux professions savantes, sont mêlés à une grande quantité de fils de boutiquiers, destinés les uns au comptoir, les autres à la boutique ou à la ferme ; c’est là qu’aujourd’hui encore vit Randal Leslie sous le nom de John Smith.

Tandis que ce qu’on peut appeler la justice poétique a surgi naturellement des projets mêmes dans lesquels Randal a dépensé tant d’intelligence pour ruiner sa carrière, la Providence n’a châtié par aucune adversité extérieure le coupable le plus endurci, le baron Lévy. Aucune baisse subite des fonds publics n’est venue ébranler le splendide édifice élevé sur les ruines de tant d’autres maisons. Le baron est toujours Lévy le millionnaire, mais je me demande si, au fond, il n’est pas plus misérable encore que Randal le sous-maître. Car Lévy est un homme de passions violentes ; il n’a pas le sang pâle et le cœur engourdi qui permettent à la couleuvre écorchée d’oublier son mal dans l’assoupissement. À l’entrée de la vieillesse, l’usurier fashionable devint amoureux d’une danseuse de l’Opéra, dont les jambes légères avaient tourné les têtes plus légères encore de la moitié des élégants de Paris et de Londres. La rusée danseuse exigea le mariage et Lévy l’épousa. À partir de ce moment, sa maison Louis XV fut plus que jamais le rendez-vous des dandys de haut parage dont il avait toujours recherché la société. Mais cette société même devint son tourment. La baronne était une coquette accomplie, et elle mettait perpétuellement à la torture Lévy, dont, comme nous l’avons dit, la jalousie était la passion dominante. Le peu d’estime qu’il faisait de la nature humaine, son manque absolu de croyance à la vertu, augmentèrent ses soupçons et amenèrent précisément le mal qu’il redoutait. Il devint l’espion de son propre foyer. Il abandonna sa luxueuse maison ; quitta Londres, renonça à la joyeuse compagnie qu’il avait tout fait pour y attirer ; et finit par s’ensevelir dans une maison de campagne avec la femme qu’il abhorrait.

Le comte de Peschiera ne s’était pas trompé dans les calculs qui l’avaient porté à feindre le repentir et à se fier à la générosité de son cousin. Le duc de Serrano lui assura en effet un revenu proportionné à son rang. Mais il n’en jouit que bien peu de temps, car dans l’année même qui suivit sa visite à Lansmere, il fut tué en duel par un officier français dont il avait courtisé la femme.

Béatrix, sans prendre le voile, comme elle se l’était d’abord proposé, se fixa à Rome, où elle vécut dans la retraite, uniquement occupée d’œuvres pies et charitables.

Le squire et sa femme fleurissent toujours à Hazeldean où le capitaine Higginbotham a définitivement fixé sa résidence. Trois fois par semaine il se venge des gronderies du squire et des sermons du curé à la table de whist où M. Dale n’est plus condamné à l’avoir pour constant partenaire, depuis qu’un cinquième joueur prend souvent place au whist en la personne de l’ancien ennemi et voisin du