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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/55

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était celui de la colère plus que de la surprise, et rien n’était plus charmant que le regard de fierté et de ressentiment qu’elle jeta sur Harley.

Harley sourit de nouveau, mais avec tant de douceur que la colère de Violante s’évanouit sur-le-champ, ou plutôt que Violante se sentit irritée contre elle-même de ne l’être plus contre lui. Mais dans sa colère elle avait paru si belle à Harley que celui-ci se plut à la taquiner de nouveau. Il reprit donc gravement :

« Vos flatteurs, signorina, vous diront peut-être que vous êtes bien embellie depuis ce temps, pour moi je vous aime mieux telle que vous étiez alors, non que je désespère de vous rendre quelque jour ce que vous m’offrîtes alors si généreusement.

— Ce que je vous offris ! moi ? Mais, signor, vous êtes dans une étrange erreur.

— Hélas ! non, mais le cœur des femmes est si capricieux et si volage ! Vous me l’offrîtes alors, je vous l’assure ; j’avoue que je n’eus pas de peine à l’accepter.

— Je vous l’offris ! Je vous offris quoi ?

— Un baiser, chère enfant, dit Harley ; puis il ajouta avec une tendresse sérieuse : et je vous répète que j’espère vous le rendre quelque jour, lorsque je vous verrai entre votre père et votre mari, dans votre pays natal, la plus belle fiancée à laquelle ait jamais souri le ciel de l’Italie ! Et maintenant excusez les rudes plaisanteries d’un ermite et d’un soldat et donnez votre main en signe de pardon à Harley L’Estrange. »

Violante, qui s’était reculée dès les premières paroles de l’étranger avec une crainte vague qu’il n’eût perdu l’esprit, s’élança maintenant vers lui, et, avec l’enthousiasme de sa nature, pressa entre les deux siennes la main qu’on lui tendait. « Le sauveur de mon père ! » s’écria-t-elle ; et ses yeux se fixèrent sur ceux d’Harley avec une gratitude et un respect si visibles que celui-ci se sentit à la fois confus et charmé. Elle ne songea pas en ce moment au héros de ses rêves, elle ne vit que celui qui avait sauvé la vie à son père. Mais tandis que les yeux d’Harley se baissaient devant les riens et que sa tête découverte s’inclinait sur la main qu’il tenait dans la sienne, elle reconnut sa ressemblance avec le dessin qu’elle avait tant de fois contemplé. Il avait à la vérité perdu le premier éclat de la fraîcheur, mais il lui restait encore assez de jeunesse pour adoucir la trace des années, et pour laisser à la virilité les attraits qui lui sont propres. Instinctivement Violante dégagea sa main et baissa les yeux à son tour.

En ce moment d’embarras pour tous deux, Riccabocca entra dans le jardin par une petite porte dont il avait la clef, et tressaillit en apercevant un homme près de Violante ; il s’élança vers elle en poussant un cri de colère, Harley l’entendit et se retourna.

Violante, à qui l’entrée de son père avait aussitôt rendu le calme et le courage, prit de nouveau la main de l’étranger :

« Mon père, dit-elle simplement, c’est lui, il est enfin venu. »