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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/61

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— Quel jeune homme ?

— Randal Leslie,

— Comment ? Vous le connaissez ? »

Une courte explication suivit ces paroles.

Harley écouta d’une oreille attentive et avec une contrariété visible les détails des relations de Riccabocca avec Randal et de la promesse que l’Italien avait faite à celui-ci.

« Il y a dans tout cela quelque chose qui me semble fort suspect, dit-il. Pourquoi ce jeune homme m’a-t-il sondé sur les chances qu’aurait Violante de perdre sa fortune si elle épousait un Anglais ?

— Ah ! ah ! mais il faut l’excuser. Il désirait naturellement paraître ignorer tout ce qui me concerne. Notre intimité ne lui était pas assez connue pour l’autoriser à trahir mon secret.

— Mais il en savait assez pour qu’il dût vous prévenir de mon arrivée en Angleterre, et il ne me paraît pas qu’il l’ait fait.

— Non ; c’est singulier ; cependant cela s’explique, car la dernière fois que nous nous sommes vus, il avait la tête remplie de toute autre chose, il songeait à l’amour et au mariage, basta ! La jeunesse est toujours la jeunesse.

— Il n’y a en lui rien de jeune ; je doute qu’il l’ait jamais été, s’écria Harley avec vivacité. Il est de ces gens qui viennent au monde avec le pouls d’un centenaire. Nous ne serons jamais si vieux ni vous ni moi qu’il l’était au maillot. Ah ! vous pouvez rire, mais mon instinct me trompe rarement ; tout en lui m’a déplu au premier coup d’œil : son sourire, sa voix et jusqu’à sa démarche ! C’est une folie à vous que de consentir à un pareil mariage ; il peut anéantir toutes vos chances de restauration.

— Cela vaudrait mieux que de manquer à ma parole.

— Non, non, s’écria Harley ; votre parole n’est pas définitive, elle ne saurait l’être. Non, quand vous me regarderiez d’un air encore plus suppliant. Dans tous les cas, attendez que nous en sachions davantage sur ce jeune homme ; s’il est véritablement digne d’elle, qu’elle perde alors votre héritage, j’y consens.

— Mais pourquoi perdrait-elle mon héritage ? Il n’y a pas de loi en Autriche qui puisse empêcher un père de marier sa fille comme il lui convient.

— Sans doute ; mais en ce moment vous êtes en dehors des lois ; et si l’on apprenait qu’un homme de votre nom s’est abaissé jusqu’à donner sa fille à un aventurier anglais, à un commis, un employé, ce serait là un motif politique de vous refuser votre grâce, car ce mariage vous ravirait cette haute estime où vous tiennent vos compatriotes et qui ferait de votre restauration un acte si populaire. Ô sage en théorie, pourquoi vous montrez-vous toujours si insensé dans l’action ! »

Riccabocca, insensible à cette apostrophe, se frotta les mains, puis les étendit confortablement devant le feu.

« Mon ami, dit-il, mon fils sera le représentant de mon nom.

— Mais vous n’avez pas de fils ?