Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Léonard et Hélène se trouvèrent donc seuls pendant quelques instants. Ils étaient dans la bibliothèque ; Hélène sans y prendre garde s’était assise dans le fauteuil de Léonard, et elle examinait avec un vif intérêt les papiers épars et en désordre (non qu’il n’y eût un certain ordre sous ce désordre apparent, mais qui n’était connu que du propriétaire), et les livres en toutes langues posés sur le bureau, à terre, sur les chaises, partout. Je dois avouer que la première pensée d’Hélène fut un grand désir d’arranger tout cela.

« Pauvre Léonard ! pensa-t-elle, le reste de la maison est merveilleusement bien tenu, mais il n’a personne pour prendre soin de lui et de son cabinet. »

Comme s’il eût deviné sa pensée, Léonard sourit et dit :

« Ce serait une bonté cruelle pour l’araignée, que d’essayer même avec la plus douce main du monde d’arranger sa toile.

— Vous n’étiez pas tout à fait si désordonné autrefois, ce me semble ?

— Cependant même alors vous étiez obligée de garder l’argent. J’ai maintenant un plus grand nombre de livres et aussi plus d’argent. Mon intendante actuelle me laisse le soin de mes livres, mais elle est moins indulgente quant à l’argent.

Hélène (en souriant). Êtes-vous toujours aussi distrait ?

Léonard. Je le suis beaucoup plus ; c’est chez moi un vice incorrigible… miss Digby…

Hélène. Ne m’appelez pas miss Digby, appelez-moi si vous voulez ma sœur.

Léonard (évitant de prononcer le mot). Hélène, voulez-vous m’accorder une grâce ; vos yeux et votre sourire disent oui. Voulez-vous ôter un instant votre chapeau et votre châle ? Quoi ! cette demande vous étonne. Ne comprenez-vous pas que je voudrais croire une minute que vous êtes encore une fois chez vous sous ce toit ? »

Hélène parut troublée et baissa les yeux, puis elle les releva avec une candeur angélique, et murmurant de nouveau le nom de frère, comme si elle eût trouvé dans ce mot un refuge contre toute pensée d’affection trop vive, elle fit ce qu’il lui demandait.

Elle était donc là, assise au milieu des volumes poudreux, devant sa table, près de la fenêtre ouverte. Ses cheveux blonds séparés sur son front, avec l’air si bon, si calme, si heureux ! Léonard s’étonnait de son empire sur lui-même. Son cœur se tournait vers elle avec un amour si intense, ses lèvres eussent tant voulu lui dire :

« Oh ! que ce soit pour toujours, si l’asile ne vous paraît pas trop humble ! » Mais ce mot de frère se dressait entre eux comme une barrière.

Et cependant elle semblait à l’aise, et peut-être y était-elle beaucoup plus qu’elle ne s’y était encore sentie dans ce vaste hôtel froid et grandiose où elle devait bientôt avoir les droits d’une fille. Sans doute, elle se rendit subitement compte de cette impression, car elle se leva et dit d’un air inquiet :

« Mais nous allons faire attendre trop longtemps lady Lansmere : il faut partir ; » et elle remit à la hâte son chapeau et son châle.