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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/81

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sérable comédie ? Cette question suggéra tout à coup à Randal une pensée nouvelle ; lord L’Estrange ne songeait-il pas à plaire lui-même à Violante ? N’était-ce pas là l’explication naturelle de toutes les démarches qu’il avait tentées auprès de la cour d’Autriche pour faire recouvrer à la jeune fille son héritage ?

Les objections que pouvait avoir le gouvernement autrichien au mariage de Violante avec un Anglais obscur, tomberaient sans doute lorsqu’il serait question d’Harley L’Estrange, d’un homme dont la famille, non-seulement appartenait à la plus haute aristocratie d’Angleterre, mais encore avait toujours soutenu les principes qui dirigeaient les principaux gouvernements d’Europe. Harley, à la vérité, n’avait jamais arboré personnellement aucun drapeau politique, mais ses idées devaient être celles d’un officier de haute naissance ayant combattu avec l’Autriche pour la restauration des Bourbons. Et cette immense fortune que Violante risquait de perdre en épousant un homme comme Randal, un mariage avec l’héritier des Lansmere pouvait au contraire contribuer à la lui faire rendre. Harley, malgré sa brillante position, devait-il être indifférent à de telles séductions ?

Et nul doute que Riccabocca, dans sa correspondance, ne lui eût parlé de la rare beauté de Violante.

Tout bien considéré, il parut naturel à Randal que les scrupules d’Harley sur ce qui est dû aux femmes eussent cédé à une si forte tentation. S’il n’avait pas jugé que l’amitié fût un motif assez puissant pour les vaincre, il ne pensait pas de même de l’ambition.

Tandis que Randal réfléchissait, que Frank souffrait, et que plus d’un commentaire murmuré à voix basse sur l’intelligence qui semblait régner entre la belle hôtesse et son interlocuteur parvenait aux oreilles de l’ambitieux intrigant et de l’amant jaloux, la conversation de ceux qui étaient l’objet de tant de remarques venait de prendre un tour nouveau. Béatrix s’était efforcée d’en changer le sujet.

« Il y a longtemps, milord, disait-elle, que je n’ai entendu exprimer des sentiments semblables à ceux dont vous me parlez, et si je ne m’en sens pas tout à fait indigne, c’est à cause du plaisir que j’ai naguère éprouvé, en lisant des sentiments également étrangers au langage du monde dans lequel je vis. » Et, en parlant, Béatrix prenait un livre sur la table. « Connaissez-vous cet ouvrage ? » ajouta-t-elle.

Harley jeta un coup d’œil sur le titre du livre.

« Sans doute ; j’en connais même l’auteur.

— Je vous envie cet honneur. J’aimerais à connaître aussi celui qui m’a fait découvrir dans mon cœur des profondeurs qui m’étaient inconnues.

— Croyez-moi, charmante marquise, s’il en est ainsi, je ne vous ai pas flattée, je n’ai pas estimé trop haut votre nature ; car cet ouvrage n’a d’autre attrait que celui d’un appel fait à des sentiments généreux, et il ne saurait plaire à ceux chez qui n’existent pas ces sentiments.