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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/82

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— Vous vous trompez nécessairement, ou bien comment serait-il si populaire ?

— Parce que les sentiments généreux sont plus naturels au cœur humain que nous ne le croyons généralement.

— Ne me dites pas cela ; j’ai toujours vu le monde si bas et si faux !

— Pardonnez-moi la question, mais que savez-vous du monde ? »

Béatrix leva d’abord vers Harley des yeux étonnés, puis elle regarda autour d’elle avec une ironie expressive.

« Je m’en doutais ; vous appelez ce petit salon le monde. Soit donc. Eh bien ! je ne crains pas de dire que si les personnes ici présentes étaient transformées en spectateurs d’un théâtre, et que vous fussiez aussi consommée dans l’art scénique que vous l’êtes dans l’art de plaire…

— Eh bien ?…

— Eh bien ! si vous prononciez un discours rempli de sentiments bas et sordides, vous seriez sifflée. Mais qu’une autre femme, moins belle et moins bien douée, se levât pour exprimer des sentiments doux et féminins ou bien nobles et élevés, l’acclamation serait sur toutes les lèvres et les larmes dans bien des yeux. La véritable preuve de la noblesse inhérente à notre nature, c’est la sympathie que les foules témoignent toujours pour ce qui est grand et beau. Ne croyez pas que le monde soit vil ; s’il en était ainsi, toute société serait à jamais impossible. Mais vous désirez, dites-vous, connaître l’auteur de ce livre ; je vous l’amènerai.

— Je vous en serai très-reconnaissante.

— Et maintenant, dit Harley avec son candide et charmant sourire, serons-nous amis ?

— Vous m’avez tellement surprise qu’à peine puis-je vous répondre. Mais pourquoi voulez-vous que nous soyons amis ?

— Parce que vous avez besoin d’un ami. Vous n’en avez pas.

— Singulier flatteur ! dit Béatrix en souriant tristement ; et elle dirigea ses regards vers Randal.

— Ah ! dit Harley, vous avez trop de pénétration pour croire qu’il y ait là de l’amitié. Pensez-vous que je n’aie pas remarqué l’œil observateur de M. Randal Leslie tandis que je vous parlais ? Quel peut être le lien qui vous rapproche l’un de l’autre, je l’ignore, mais je le saurai bientôt.

— Vous parlez comme un membre de l’ancien Conseil des Dix. Vous voulez absolument me faire peur, dit Béatrix, cherchant par une affectation de légèreté à secouer l’impression sérieuse qu’avaient fait naître en elle les paroles d’Harley.

— Et moi, dit L’Estrange avec calme, je vous affirme que je ne vous crains plus. » Il la salua et traversa la foule pour rejoindre Audley Egerton qui était dans un coin, parlant à voix basse avec un de ses amis politiques. Avant d’arriver jusqu’au ministre, Harley passa près de Randal et du jeune Hazeldean ; il salua le premier et tendit la main au second. Randal sentit la différence, et son orgueil