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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/83

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en fut blessé ; un sentiment de haine pour Harley traversa son cœur. Il fut ravi de voir la froide hésitation avec laquelle Frank toucha à peine la main qui lui était offerte. Mais Randal n’était pas le seul que l’œil perçant de Harley eût vu guetter Béatrix ; il avait remarqué les regards courroucés de Frank et en avait aisément deviné la cause. Il ne fit donc que sourire de la mauvaise humeur de celui-ci.

« Vous êtes comme moi, monsieur Hazeldean, dit-il ; vous pensez qu’un sentiment du cœur doit accompagner toute politesse qui implique l’amitié.

« La main de Douglas est à lui. »

Puis Harley prit Randal à l’écart.

« Monsieur Leslie, un mot, lui dit-il. Si je désirais connaître la retraite du docteur Riccabocca afin de lui rendre un grand service, consentiriez-vous à m’en révéler le secret ?

— Voici, milord, un ami du docteur Riccabocca. Ne feriez-vous pas mieux de vous adresser à M. Hazeldean ?

— Non, monsieur Leslie, car je crois qu’il ne pourrait pas me répondre, tandis que vous le pouvez. Je vais vous demander une chose qu’il vous est permis, ce me semble, de m’accorder sans hésitation. Si vous voyez Riccabocca, dites-lui que je suis en Angleterre, et laissez-le décider s’il lui convient ou non de communiquer avec moi ; mais peut être l’avez-vous déjà instruit de mon retour ?

— Lord L’Estrange dit Randal en s’inclinant avec une politesse affectée, veuillez m’excuser si je refuse également de nier ou d’avouer les relations que vous m’attribuez. Si réellement le docteur Riccabocca m’a confié un secret, c’est à moi de juger de la meilleure manière de le garder. Et, quant au reste, après que le comte écossais, dont Votre Seigneurie vient de citer les paroles, eut refusé de toucher la main de Marmion, il eût eu mauvaise grâce à le rappeler pour le charger d’un message. »

Harley ne s’était pas attendu à ce ton de la part du protégé d’Egerton, mais cette hauteur, qui du moins semblait indiquer un caractère indépendant, plut à sa nature brave et franche bien plutôt qu’elle ne l’irrita. Néanmoins, les soupçons qu’avait conçus L’Estrange au sujet de Randal étaient trop fondés pour qu’il y renonçât aisément ; il répliqua donc poliment, mais avec un sarcasme déguisé :

« Je me soumets à votre reproche, monsieur Leslie, bien que je n’aie pas eu, comme vous le croyez, l’intention de vous offenser. Je regrette d’autant plus ma malheureuse citation, que votre spirituelle réponse vous a contraint de vous identifier avec Marmion, qui, bien que brave et habile, était certainement fort rusé. » Puis Harley se dirigea de nouveau vers Egerton, et, après quelques minutes, tous deux quittèrent le salon.

« Que vous disait donc lord L’Estrange ? dit Frank à son ami ; il vous parlait de Béatrix, j’en suis sûr.

— Non ; il me citait des vers.