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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/85

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c’était là, chez Hélène, une habitude qui irritait les nerfs de lady Lansmere ; celle-ci méprisait les jeunes filles qui se plaisent aux travaux d’aiguille. Elle ne comprenait pas que c’est souvent une ressource de l’esprit féminin, non pour cacher l’absence des pensées, mais pour en voiler la profondeur par le silence. Violante fut surprise et même un peu désappointée de ce qu’Harley fût sorti avant le dîner et ne rentrât pas de la soirée. Mais lady Lansmere, excusant l’absence de son fils sous le prétexte d’engagements contractés antérieurement, saisit l’occasion de parler de ses façons d’agir en général, de tout ce qu’il promettait dans son enfance, des regrets qu’elle éprouvait de son inaction présente, de l’espérance qu’elle conservait de le voir quelque jour se servir de ses rares facultés, en sorte que Violante cessa presque de regretter sa présence.

Lady Lansmere conduisit ensuite la jeune Italienne à sa chambre, et lui dit en l’embrassant tendrement : « Mais vous êtes justement la personne la plus capable de l’arracher aux rêveries mélancoliques qu’il cherche à déguiser sous l’apparence de caprices bizarres. » Violante croisa les bras sur sa poitrine, et ses yeux brillants, adoucis par la tendresse, semblaient dire : « Lui, mélancolique ! et pourquoi ? »

En quittant Violante, lady Lansmere s’arrêta devant la porte d’Hélène, et après un instant de réflexion elle entra doucement. Hélène avait renvoyé sa femme de chambre et elle était agenouillée au pied de son lit, le visage caché dans ses mains. Son attitude était si pieuse, si enfantine, si touchante, que l’orgueilleuse et froide expression du visage de lady Lansmere changea aussitôt ; instinctivenent elle mit sa main devant la lumière et s’assit en silence pour ne pas interrompre la jeune fille dans sa prière.

Lorsque Hélène se releva, elle tressaillit en apercevant la comtesse assise auprès du feu, et elle mit vivement la main sur ses yeux : elle avait pleuré. Mais lady Lansmere était trop absorbée dans ses propres pensées pour remarquer les traces de larmes qui, à ce que craignait Hélène, n’étaient que trop visibles, et tandis que celle-ci s’approchait timidement, la comtesse, les yeux fixés sur le feu mourant, lui dit : « Je vous demande pardon, miss Digby, de vous surprendre ainsi, mais mon fils m’a chargée d’apprendre à lord Lansmere l’offre que vous avez fait à Harley l’honneur d’accepter ; je n’ai encore rien dit à milord, il peut s’écouler quelque temps avant que je ne trouve une occasion convenable de lui parler ; en attendant, je ne doute pas que vous ne pensiez comme moi que ce serait oublier ce qui est dû au père de lord L’Estrange que d’apprendre à des étrangers un événement aussi important, avant qu’il y ait donné son consentement. »

Ici la comtesse s’arrêta, et la pauvre Hélène voyant qu’elle attendait une réponse à ce discours glacial, balbutia à demi-voix : « Certainement, madame ; je n’ai jamais songé…

— C’est très-bien, mon enfant, interrompit lady Lansmere, se levant soudain comme soulagée d’une grande inquiétude. J’avais raison de ne pas douter de votre supériorité sur les autres jeunes filles