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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/86

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de votre âge qui ne gardent jamais un moment le secret sur un sujet de cette nature. Ainsi donc, il est convenu que pour le présent vous ne ferez part de ce qui s’est passé entre vous et Harley à aucune des amies avec lesquelles vous pouvez correspondre.

— Je n’ai pas de correspondances, pas d’amies, madame, dit Hélène avec tristesse et ayant peine à retenir ses larmes.

— J’en suis bien aise, mon enfant. Les jeunes filles ne devraient jamais en avoir. Leurs amies, et surtout celles avec lesquelles elles correspondent, sont généralement leurs pires ennemies. Bonne nuit, miss Digby. Je n’ai pas besoin d’ajouter que, bien que nous devions certainement la plus grande bienveillance à cette jeune Italienne, elle est cependant tout à fait étrangère à notre famille et vous ferez donc bien d’être aussi prudente avec elle que vous l’eussiez été avec vos correspondantes, si vous aviez eu le malheur d’en avoir. »

Lady Lansmere dit ces derniers mots en souriant, puis se retira après avoir déposé un froid baiser, vrai baiser de belle-mère, sur le front incliné d’Hélène.


CHAPITRE XXIV.

Le lendemain Harley parut au déjeuner. Il était gai et causa avec Violante plus librement qu’il n’avait encore fait. Il semblait se plaire à contredire tout ce qu’elle avançait et à attiser le feu de la discussion. Violante était naturellement très-sincère ; que son langage fût grave ou gai, lorsqu’elle parlait son cœur passait sur ses lèvres et son âme dans ses yeux ; l’ironie d’Harley la piqua, l’irrita, et la colère la rendait si charmante, animait d’un tel feu son beau visage et sa parole éloquente, qu’Harley n’en était que plus disposé à la taquiner. Mais ce qui peut-être déplaisait plus encore à Violante que ces taquineries, bien qu’elle n’eût pu dire pourquoi, c’était ce ton familier que prenait Harley avec elle, le ton d’un aimable frère aîné ou d’un oncle vieux garçon ; avec Hélène, au contraire, Harley se montrait singulièrement respectueux ; il ne l’appelait jamais par son nom de baptême, comme il faisait pour Violante, et lorsqu’il lui parlait, c’était en adoucissant la voix et en inclinant la tête. Après le déjeuner il demanda à Violante de chanter ou de jouer du piano, et lorsque celle-ci eut avoué combien peu elle avait cultivé ces talents, il décida Hélène à se mettre au piano et resta debout près d’elle, lui tournant les pages avec toute l’obligeance et l’admiration d’un amateur. Hélène, qui avait un talent véritable, joua moins bien qu’à son ordinaire, car il déplaisait à sa nature généreuse de paraître triompher de l’ignorance de Violante ; celle-ci, de son côté, aimait si passionnément la musique qu’en écoutant Hélène elle oubliait le senti-