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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/88

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— Ne le suis-je donc pas ?

— Hum ! L’êtes-vous autant que si c’était une riche héritière, comme vous pensez que sera Violante ?

— Est-ce donc, répondit lady Lansmere éludant la question, est-ce donc parce que l’une est héritière et que l’autre ne l’est pas que vous mettez une différence si marquée dans vos manières envers elles deux ! Vous traitez Violante comme une enfant gâtée et miss Digby comme…

— La future épouse de lord L’Estrange et la future belle-fille de lady Lansmere. Oui, ma mère. »

La comtesse réprima une exclamation d’impatience prête à lui échapper, car le visage d’Harley avait cette expression sérieuse que celui-ci prenait bien rarement, excepté lorsqu’il était dans cette disposition où il est prudent d’adoucir les hommes et non de leur résister. Après une pause, Harley reprit : « Je vais vous quitter aujourd’hui même. J’ai retenu un appartement au club de Clarendon. Je vais satisfaire votre désir tant de fois exprimé de me voir jouir de ce qu’on appelle les plaisirs de mon rang, ainsi que des privilèges de la vie de garçon. Je vais célébrer mes adieux au célibat et briller une dernière fois avec toute la splendeur d’un soleil couchant sur Hyde-Park et May-Fair.

— Vous êtes une véritable énigme ! Vous voulez quitter la maison justement lorsque votre fiancée l’habite ! Est-ce là une conduite naturelle chez un amant ?

— Comment ne comprenez-vous pas cela tout de suite ? dit Harley en riant. Ne devinez-vous pas que je souhaite qu’Hélène et moi nous perdions l’habitude de nous considérer uniquement comme tuteur et pupille ; que la familiarité même de nos relations, tandis que nous vivons sous le même toit, s’oppose presque à ce que nous devenions amants, que nous perdons ainsi et la joie du retour et le chagrin du départ. »

Ils aperçurent alors Violante et Hélène qui descendaient au jardin, se donnant affectueusement le bras.

« Mais si vous nous quittez le lendemain du jour où la fille de votre ami devient notre hôte, reprit lady Lansmere, que va-t-elle en penser ? »

Lord L’Estrange regarda fixement sa mère. « Et qu’importe, dit-il, ce qu’elle pense de moi, d’un homme fiancé à une autre et d’âge à être…

— Pour l’amour du ciel, ne parlez pas toujours de votre âge, Harley, cela me rappelle le mien, et d’ailleurs je ne vous ai jamais vu plus beau… »

Là-dessus elle attira son fils du côté des jeunes filles, et prenant Hélène à part, elle lui demanda si elle savait que lord L’Estrange avait retenu des chambres au Clarendon et si elle comprenait pourquoi. Et tout en parlant, elle s’éloignait, de sorte qu’Harley se trouva seul près de Violante.

« Vous allez être ici bien tristement, j’en ai peur, ma pauvre enfant ! lui dit-il.