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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/91

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« Vous ne vous séparez d’eux que pour les servir ! » Il tourna vers L’Estrange des regards rayonnants et avides.

« J’ai dit au docteur, reprit Harley, que je répondais de votre honneur comme du mien. Je vais agir selon ma parole et vous confier les secrets que votre pénétration a déjà devinés en partie. Notre ami, en effet, n’est pas ce qu’il paraît. » Puis Harley raconta brièvement à Léonard les aventures de l’exilé, le rang qu’il avait occupé dans sa patrie, la manière dont il avait été attiré, par sa femme et par un de ses parents, dans des conspirations qu’il croyait n’avoir d’autre but que l’affranchissement de l’Italie.

« C’était un noble but, interrompit vivement Léonard, et pardonnez-moi, milord, je ne vous eusse pas cru capable d’en parler avec l’accent du blâme.

— Le but en lui-même était noble, en effet, reprit Harley, mais cette cause fut avilie par les plans que formaient les membres des sociétés secrètes. C’est le malheur de toutes les combinaisons politiques, qu’aux purs motifs de leurs membres les plus généreux se mêlent toujours les intérêts sordides et les passions violentes d’indignes associés. Lorsque ces combinaisons se produisent ouvertement, au grand jour de l’opinion publique, les éléments les plus sains finissent par prévaloir ; lorsqu’elles sont ensevelies dans le mystère, lorsqu’elles ne sont soumises à aucun contrôle de la part d’un public impartial et désintéressé, lorsque des chefs, agissant dans l’ombre, exigent une obéissance aveugle et qu’il suffit à un homme d’être placé en dehors des lois pour être admis comme un ami de la liberté, l’histoire nous apprend que le patriotisme s’y évanouit bientôt. Lorsqu’une société est publique, la vertu, par la sympathie naturelle qu’elle inspire et par suite de l’utile contrôle de la bonté, obtient ordinairement l’ascendant ; lorsqu’elle est secrète et que la bonté est pour celui-là seul qui refuse de faire abnégation de sa conscience, chacun ne cherche plus alors que la satisfaction de ses vices. En un mot, ces sociétés de Carbonari italiens n’engendrèrent que des plans, sous l’apparence desquels les chefs les plus capables déguisaient de nouvelles formes de despotisme, et les masses révolutionnaires ne cherchaient que le renversement de toutes les institutions sociales. Naturellement, ajouta L’Estrange avec amertume, lorsque ces plans furent découverts et la conspiration déjouée, les honnêtes gens qu’on avait entraînés dans la ligue payèrent pour tous, les chefs devinrent témoins et les mercenaires bandits. »

Harley expliqua ensuite à son compagnon que c’était au moment même où le soi-disant Riccabocca venait de découvrir la véritable nature et les projets ultérieurs des conspirateurs et s’était retiré de leurs assemblées, qu’il avait été dénoncé par le parent qui l’avait entraîné dans l’entreprise, et que celui-ci jouissait maintenant du fruit de sa trahison. Harley parla aussi du paquet envoyé par l’épouse mourante de Riccabocca à mistress Bertram, et de l’espoir qu’il fondait sur le contenu de ce paquet si jamais on parvenait à le découvrir. Il en revint ensuite au projet qui amenait Peschiera en Angleterre, projet