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que celui-ci avait avoué assez effrontément à ses amis de Vienne, pour oser faire de son succès l’objet d’une gageure.

« Mais il ignore ce qu’est l’Angleterre et la toute-puissance de la loi dans ce pays, dit Léonard avec assurance. Bien entendu, Riccabocca, si je dois encore l’appeler ainsi, refusera son consentement au mariage de sa fille avec son ennemi. Où donc alors est le danger ?

— Tout cela est vrai, dit Harley, cependant j’ai eu plus d’une fois l’occasion de voir qu’il faut moins estimer le danger d’après les circonstances extérieures, que d’après le caractère de ceux qui nous menacent. Ce comte est un homme audacieux, intelligent, profondément versé dans l’art de la duplicité et de l’intrigue ; un de ces hommes qui se vantent de venir à bout de tout ce qu’ils entreprennent ; et il est ici, stimulé par l’ardeur de ses convoitises et par l’énergie que donne le désespoir. Je ne saurais donc deviner quel sera son plan, mais je suis certain qu’il le combinera avec ruse et le poursuivra avec audace dès qu’il connaîtra la retraite de Violante, à moins que nous ne puissions prévenir le danger par la restauration de Riccabocca et la découverte de la trahison et du mensonge auxquels Peschiera doit la fortune dont il jouit. Ainsi, tandis que d’un côté nous nous livrerons à d’actives recherches pour retrouver les documents égarés, il nous faudra en même temps faire tous nos efforts pour nous tenir au courant de toutes les machinations du comte, afin de les combattre. J’ai donc appris à Vienne, avec satisfaction, que la sœur de Peschiera était à Londres. Je connais assez le caractère de celui-ci et l’intimité qui règne entre lui et cette dame, pour être à peu près certain que le comte cherchera à faire d’elle son instrument et sa complice s’il lui en faut une. Peschiera (comme vous pouvez le croire d’après son audacieuse gageure) n’est pas un de ces scélérats profonds prêts à couper leur main gauche si elle pouvait révéler les secrets de la droite, c’est plutôt un de ces coquins hardis et impudents dont la conscience est si obtuse que leur intelligence en est obscurcie, et qu’ils font volontiers parade de leur habileté et de leur audace ; de plus, Peschiera s’est arrangé de façon à rendre cette pauvre femme assez dépendante de lui pour qu’elle fût contrainte de devenir son esclave et son instrument ; mais j’ai appris d’elle certains traits qui montrent qu’elle est accessible au bien, et qu’elle a des tendances droites et honorables. Mon espoir de détacher cette dame des intérêts de Peschiera et de l’engager à nous prévenir de ses projets, ne repose que sur cet artifice bien innocent et même louable, je l’espère, de la relever moralement à ses propres yeux, de faire appel aux meilleurs sentiments de sa nature. »

Léonard écoutait Harley avec admiration et non sans quelque surprise ; il était frappé de la parfaite connaissance du cœur humain dont celui-ci venait de faire preuve en esquissant à grands traits le caractère de Peschiera et celui de Béatrix, et de la hardiesse avec laquelle il basait tout un plan d’action sur quelques déductions tirées des mobiles qui régissent généralement certains caractères. Léonard