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Page:Bulwer-Lytton - Pelham, 1874 tome II.djvu/13

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l’avantage sur nous en quelques points. Qui pourrait songer sans regrets et sans envie aux fameux soupers d’Apicius ? Le vénérable Ude insinue que cet art n’a pas fait de progrès. La cuisine (dit-il, dans la première partie de son ouvrage) ne compte que peu de novateurs.

— C’est avec la plus grande défiance de nous-mêmes, me dit Guloseton, la bouche pleine de vérités et de turbot, que nous devons nous hasarder à être d’un avis différent de celui de ce grand homme. En vérité, ma vénération pour son autorité et sa sagesse est telle que, si j’avais d’un côté l’évidence et la raison, de l’autre la parole du grand Ude, j’inclinerais, que dis-je ? je me sentirais déterminé à passer quand même de son côté.

— Bravo ! lord Guloseton, m’écriai-je avec enthousiasme, qu’un cuisinier est un mortel divin ! Pourquoi ne serions-nous pas fiers de nos connaissances en cuisine ? n’est-ce point l’âme des fêtes en tout temps et à tout âge ? Combien de mariages ont été le résultat d’un dîner de gala ! Combien de bonnes fortunes ont été la conséquence d’un bon souper ! À quel moment de notre existence sommes-nous plus heureux que quand nous sommes à table ? Là, toute haine, toute animosité sommeillent, et le plaisir règne seul. Là, le cuisinier habile et attentif sait aller au-devant de nos goûts par le choix heureux des mets et la décoration élégante de la table. Là, nous trouvons la satisfaction de nos désirs ; notre esprit et notre corps se retrempent, et nous devenons aptes à goûter les délices de l’amour, de la musique, de la poésie, de la danse et de tous les plaisirs. Est-il juste de reléguer l’homme dont le talent a produit de si beaux résultats, au rang infime de simple domestique ?

— Oui, s’écrie le vénérable maître lui-même, dans un vertueux et prophétique paroxysme d’indignation : oui, mes disciples, si vous suivez attentivement les préceptes que j’ai formulés, l’amour-propre des hommes finira par être vaincu et ils avoueront à la fin, que la cuisine doit être rangée au nombre des sciences, et que ceux qui la professent méritent le nom d’artistes.

— Cher, cher monsieur, me dit Guloseton dans un élan